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Une prise en charge défaillante
Nombre croissant de malades mentaux dans nos villes
Publié dans El Watan le 23 - 04 - 2006

Quand on voit le nombre de malades mentaux, de « fous », comme on dit communément, qui déambulent dans nos agglomérations, il y a de quoi se poser la question : pourquoi beaucoup d'entre eux ne sont pas pris en charge, ne sont pas soignés dans des structures adéquates plutôt que d'être livrés à eux-mêmes ?
Les chiffres sont effarants. Plus de 140 psychiatres ont quitté le pays durant ces dix dernières années. Ils n'ont pas fui le terrorisme qui frappait l'Algérie, mais ils ont quitté le pays beaucoup plus par dégoût. Dégoût de voir la santé mentale classée comme priorité de second plan. Fatigués de la bureaucratie qui mine cette branche aussi importante pour la santé de la population. Face à l'absence de moyens des plus élémentaires et la perte de considération, le psychiatre n'a plus la volonté d'accomplir convenablement sa mission. Des psychiatres eux-mêmes ne nient pas qu'ils étaient partiellement effacés durant la décennie noire sans omettre le manque de formation de la plupart d'entre eux qui se sont retrouvés impuissants face au nouveau phénomène qui a profondément meurtri la société. Le service de psychiatrie du CHU de Bab El Oued accueille chaque jour des jeunes qui ont été soit des victimes directes d'un acte terroriste, soit assisté ou alors entendu des atrocités. Ces personnes admises dans le service sont dans un état critique. Cependant, un problème et non des moindres demeure posé jusqu'à ce jour, c'est le manque d'expérience flagrant de psychiatres dans le traitement de pareils traumatismes liés au terrorisme. Ces derniers n'ont reçu aucune formation leur permettant de faire face à ce nouveau phénomène. L'histoire de Sara est significative de l'état de marasme dans lequel se trouve la psychiatrie dans notre pays. Lycéenne, elle était à l'époque en terminale. Un jour sur le chemin du lycée, elle est enlevée par un groupe terroriste qui l'emmène au maquis. Malheureusement, la suite on la devine aisément : violée par ses kidnappeurs, elle se retrouve enceinte, neuf mois après elle accouche d'un garçon. Refusant d'admettre l'idée d'élever un bébé né d'un acte indésirable, elle fracasse le crâne du nouveau-né contre le mur. Profitant d'un moment d'inattention de ses bourreaux, elle arrive à s'évader. Les militaires l'ont retrouvée complètement épuisée et l'ont conduite vers un centre d'accueil. Dans ce foyer, Sara souffrait et a tenté de mettre fin à sa vie. L'idée du suicide la hantait. Pour soulager sa souffrance, elle a été hospitalisée durant plusieurs mois au service psychiatrique du CHU de Bab El Oued. Le docteur Abdelhak Benouniche, responsable du centre des urgences psychiatriques du CHU de Bab El Oued, explique que la tentative thérapeutique de soins dont a bénéficié Sara a été laborieuse. « J'ai pu par cette tentative restituer partiellement à cette fille ce qui lui reste de part d'humanité », dira le médecin qui, faute de lit disponible au niveau de son service, a été dans l'obligation de la laisser sortir pour rejoindre le centre d'accueil. Un jour, Sara, pour des raisons que l'on ignore, fait une crise, les responsables du centre l'emmènent chez un autre psychiatre à qui elle raconte son histoire dans les détails. « Le psychiatre au lieu de l'aider, traite Sara de menteuse. Il lui lance une phrase assassine : ‘'Votre histoire est un tissu de mensonges''. » De retour au centre, Sara se jette du 5e étage. Elle meurt sur le coup. « Pour moi, le psychiatre qui était censé assister la jeune fille a achevé le boulot des terroristes et ça c'est un drame », affirme, M. Benouniche qui ne manque pas pour autant de défendre ses autres collègues psychiatres en estimant qu'ils sont parfois pris dans des logiques et des réseaux qui les dépassent et qui leur imposent des comportements qu'ils réprouvent par la suite. « Lorsque je renvoie un malade de l'hôpital au bout d'un mois alors que sa maladie nécessite une hospitalisation pour une période beaucoup plus longue, je ne suis pas satisfait. J'assimile cette situation à de la non-assistance à personne en danger. » La psychiatrie est un pan des sciences sociales qui peut constituer une sonnette d'alarme quant aux dysfonctionnements de la société. Sa mission première est de prévoir et d'attirer, l'attention des pouvoirs publics sur des phénomènes sociaux. En Algérie, la psychiatrie, malheureusement, ne joue pas son véritable rôle. Ni avant ni durant la décennie noire car, selon le docteur Benouniche, elle a été durant de nombreuses années « aveugle » à ce qui se passait dans le corps social. Elle n'était pas présente sur le terrain, mais plutôt au centre d'enjeux de pouvoir. Elle était absorbée par les querelles internes et des intérêts corporatistes. La psychiatrie, de l'avis de ce praticien, n'est pas un remède aux maux de la société, mais est souvent tributaire du développement de celle-ci. Au cours de ces années de violence, d'horreur vécue au quotidien par les Algériens, les psychiatres étaient pratiquement absents. Ce sont les associations et la société civile qui, dans des moments difficiles, ont pris en charge la population traumatisée en mettant en place des lieux d'accueil, des espaces d'écoute et de réconfort.
Absence de structures
Aujourd'hui, ces espaces où les gens disaient ce qui s'est passé, décrivaient les choses telles qu'elles ont eu lieu n'existent plus et ceci est très grave. Il est tout à fait évident qu'un Etat digne de ce nom doit être en mesure, explique le professeur Tidjiza, chef de service à l'hôpital Drid Hocine, de répondre à la demande exprimée par une partie de la population traumatisée donc en état de souffrance. Si ce n'est pas le cas, donc vraisemblablement l'organisation de soins en Algérie est quelque part défaillante. Les psychiatres s'accordent à dire que le traumatisme est, en quelque sorte, « démocratique » puisqu'il peut toucher tout le monde sans exception et sans que les personnes aient de quelconques prédispositions. Le docteur Benouniche ne veut pas être alarmiste sur ce point, mais tient à préciser que personne ne sortira indemne de la situation tragique qu'a connue l'Algérie. Chacun d'entre nous recèle en soi des stigmates de cette période vécue et, en fonction des destins personnels, selon nos histoires et nos drames, nous développerons un jour ou l'autre des troubles. Cela peut se produire dans un mois ou deux, comme cela peut survenir dans cinq ou dix ans. Une chose est certaine, cela arrivera tôt ou tard. Les Algériens ne pourront jamais oublier ce qui s'est passé, s'ils ne parviennent pas à s'exprimer, disent les praticiens. Pourquoi ? Le docteur Benouniche a tenté de schématiser cet état de fait et dira que le processus de refoulement et de l'oubli ne peut s'installer définitivement que s'il y a au préalable l'étape de la mémorisation et de la verbalisation. L'être humain doit parler pour pouvoir oublier. Dans le cas contraire, si l'individu n'a pas « élaboré par la parole ce qu'il a vécu comme atrocités, elles resteront toujours présentes en lui. Cela est d'ailleurs vérifiable sur le terrain ». En effet, certains traumatisés souffrent systématiquement du syndrome de répétition parce qu'ils n'ont tout simplement pas parlé. Pourtant, nul ne peut contester que, durant toute la période du terrorisme, les gens racontaient haut et fort ce qu'ils voyaient ou entendaient. Pour les psychiatres, ces personnes en question qui reproduisent, parfois avec fierté, ce qu'elles ont vu ont, ni plus ni moins, fait dans l'agitation. « Le vrai langage, c'est lorsque la personne rend l'horreur signifiante, lorsqu'elle prend du sens. Chacun de nous rendra compte à sa manière d'une situation vécue par nous tous. C'est donc ce passage par cette subjectivité singulière qui est important. Tout individu pris isolément racontera son histoire à sa manière. Une manière unique au monde », dira notre interlocuteur. Plus de quarante ans après l'indépendance du pays, les hôpitaux algériens, plus particulièrement les services de psychiatrie, sont dans l'incapacité de prendre en charge les malades, y compris ceux qui résident non loin desdites structures. « Nous avons toujours eu droit à des discours sérieux sur l'importance et le rôle de la psychiatrie, mais la réalité est tout autre. La psychiatrie aussi, à travers ses structures spécialisées et les moyens humains, ne peut faire face actuellement aux exigences de la situation. Elle est tout simplement dépassée », expliquent les praticiens. En 1962, pour 10 millions d'habitants, il y avait 10 000 lits réservés à la psychiatrie. En 2006, pour 30 millions d'habitants, il n'existe plus que 5000 lits, la moitié de ce qui existait. La population a triplé. Sur le plan épidémiologique, il est certain que le nombre de malades a également triplé. En supprimant les lits, les patients se retrouvent inévitablement dan la rue. Aujourd'hui, en plus des troubles mentaux avérés, il s'avère, compte tenu des facteurs de développement et de la période noire qu'a traversée le pays, que la demande psychiatrique a considérablement augmenté alors que l'offre a sensiblement baissé. « On n'a pas besoin d'être malade mentalement pour être mal dans sa peau », explique un psychiatre. Celui-ci fait allusion aux catégories de personnes qui souffrent de différents troubles et qui nécessitent des soins, notamment les malades qui sont mal naturellement dans leur peau, les victimes du terrorisme, les catégories particulières de la population nécessitant une approche spécifique, les adolescents, les enfants et les femmes. « Aujourd'hui, non seulement l'offre psychiatrique n'arrive pas à répondre aux besoins de cette population, mais elle a diminué dans ce qu'elle propose comme moyens, puisque ces capacités ont été revues à la baisse. Il est urgent aujourd'hui de développer l'axe ‘'santé mentale'' en mettant en place un plan de développement. Pour l'heure, nous sommes carrément dans l'échec », affirme docteur Benouniche. Au stade du constat, la situation est plus que catastrophique. Par le passé, l'hôpital Mustapha Bacha disposait de 50 lits, puis ce nombre a été réduit à 30 alors que cette structure dessert les urgences psychiatriques d'une population de 2 millions et demi d'habitants. L'hôpital de Bab El Oued renfermait il y a quelques années tout un bâtiment réservé à la psychiatrie avec 50 lits, le nombre a été réduit par la suite à 20 lits. Les pouvoirs publics ont démantelé ces deux hôpitaux. « Il est inadmissible et illogique de demander à ces deux structures de gérer les urgences de deux millions et demi d'habitants chacune, c'est-à-dire cinq millions d'habitants », dira notre interlocuteur. La rue est donc le seul et unique refuge pour les malades. Ce constat est partagé par le professeur Tidjiza. L'hôpital Drid Hocine, réputé sur la place d'Alger, renferme 200 lits, un nombre insignifiant lorsque l'on sait que cette structure accueille des malades de toutes les wilayas du pays. A l'intérieur du service que gère le professeur Tidjiza, l'odeur de naphtaline agresse les narines, hygiène oblige, nous explique-t-il. Le bâtiment réservé aux malades est fermé à clé à longueur de journée, des agents assurent la garde. A l'intérieur de cette bâtisse, les fenêtres de toutes les chambres à trois lits sont barricadées par mesure de précaution, puisque la majorité des patients est hantée par le suicide. La plupart des malades rencontrés dans le hall du service n'étaient pas avares en paroles, ils se précipitaient pour nous raconter leur calvaire. Une fois approchés, ils ont tous émis le vœu de quitter les lieux. Chacun d'entre eux à une histoire à narrer, l'un est persuadé qu'il est Jésus, un autre dit avoir été privé de son bac obtenu avec un 19 de moyenne et on l'a refusé au service militaire car il serait un soldat exemplaire. Ces malades ont besoin d'une hospitalisation de longue durée, dira M. Tidjiza, mais souvent, faute de place, ils sont renvoyés chez eux avant leur guérison. Que fait le médecin lorsque la demande est importante et le service saturé ? Sa première préoccupation est de « faire tourner » le service plus vite que prévu. Il doit toujours avoir au moins un lit disponible pour recevoir une urgence. Ce qui implique que le séjour des malades sera forcément écourté et le médecin, ce qui est évident, n'obtiendra jamais un résultat thérapeutique intéressant.
Des malades historiques
Un individu dépressif peut-il sombrer dans la folie ? Si le malade ne réfute pas le diagnostic de dépression et s'il est pris en charge à temps, sa maladie ne va pas évoluer et ne va pas prendre des proportions alarmantes. « Les gens parfois ne s'y prennent pas à temps, car il y a une rationalisation de la part de la famille qui refuse de reconnaître la maladie de leur enfant, car pour elle c'est un tabou. Cependant, lorsque la maladie s'installe et atteint un stade final, la famille est contrainte d'agir. Elle emmène le malade chez le médecin et en ce moment elle bascule dans l'excès inverse, elle veut carrément s'en débarrasser puisqu'il devient un fardeau. Elle veut son internement car il devient une honte pour la famille », explique M. Tidjiza. Se voulant pessimiste, M. Tidjiza affirme que les malades guérissent, fort heureusement, car cela donne essence à leur mission. Mais il admet en outre qu'ils sont très peu ceux qui guérissent définitivement. Pourquoi ? De retour à leur environnement, les malades sont exposés aux mêmes frustrations, aux mêmes problèmes. « Au-delà du fait qu'il n'y a pas assez d'infrastructures pour accueillir les malades lourds pendant une étape de leur circuit psychiatrique (ils ne sont hospitalisés uniquement au moment de l'urgence), il y a l'épineux problème de la post-cure », explique le professeur Tidjiza qui a insisté sur l'absence totale de formules institutionnelles, c'est-à-dire de mesures sociales de réhabilitation du malade. « C'est ce qui fait défaut et notre action est limitée par ce volet social précisément. » Les médicaments, selon les praticiens, sont importants et nécessaires, mais ce ne sont pas les meilleures solutions.Par le passé, il existait des structures qui accueillaient des enfants à l'instar du centre de pédopsychiatrie de Bab El Oued qui prenait en charge près de 5000 enfants malades par an. Celui-ci a été fermé... Peut-être que les enfants n'étaient pas une priorité pour les hauts responsables de ce pays ! « Lorsque dans une société les structures de parole disparaissent au fur et à mesure, on peut dire qu'il y a danger », dira un psychiatre qui relèvera que parfois des malades, dans un état critique, sont acheminés vers leur service. « Il nous arrive d'hospitaliser, lorsqu'il y a un lit disponible, des malades mentaux errant qui appartiennent à l'histoire, ils sont décharnés et affamés », a soutenu le psychiatre qui explique que son service doit d'abord s'occuper de la santé physique du malade. « Il faut le laver, puis le nourrir et par la suite on s'occupe de son problème mental. Ces gens sont livrés à eux-mêmes, car leurs familles ne peuvent pas et n'ont pas les moyens de les prendre en charge. Les familles des malades sont dans une impasse », dira ce praticien.


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