Aïcha est en train de tricoter un pull en laine bleue pour sa fille lorsque celle-ci rentre de classe. Elle est en pleurs. Elle tient entre les mains les élastiques roses de ses couettes. Ses cheveux lui tombent sur le visage mouillé de larmes. Aïcha se lève et la prend dans ses bras. - Mais qu'est-il arrivé à mon ange ? L'enfant, réconfortée, cesse de pleurer et lui raconte tout. - À l'école, il y a un garçon qui ne cesse pas de m'embêter. Il se moque de moi… et dès que je fais une faute, il rit ! - C'est un vilain camarade ! Mais ces moqueries ne m'expliquent pas pourquoi tes cheveux sont dans cet état. Qui a arraché les élastiques ? - C'est lui. Je ne voulais pas jouer avec lui et il m'a attrapé par les cheveux. Je ne veux plus retourner à l'école, dit l'enfant. Plus jamais ! - Tu retourneras à l'école, dit Aïcha. Demain, ton père ira voir ta maîtresse et il lui parlera de ce vilain garçon. Je te promets qu'après sa visite, il n'osera plus se moquer de toi et encore moins t'approcher. - Rien ne l'empêchera de m'approcher, crie l'enfant. - Daya, je te jure que s'il ose encore s'en prendre à toi, il recevra une fessée de ton père, promet la maman. Maintenant, viens, je vais te recoiffer. En plus de redonner un coup de peigne dans ses cheveux, elle lui passe un peu d'eau sur le visage. Daya a retrouvé le sourire. Elle se rappelle avoir faim. - Je boirais bien du lait, dit-elle, arrachant ainsi un éclat de rire à sa mère. - Il n'y a plus de lait en poudre, répond Aïcha. Juste du lait de chèvre. Si tu veux, je te donne un morceau de galette et du sucre ? propose-t-elle. Alors, qu'en dis-tu ? - Je ne veux pas de lait de chèvre, il pue, dit l'enfant. Je mangerais bien de la galette. Une fois son goûter avalé, l'enfant sort jouer devant la maison avec ses cousins et cousines. Aïcha pendant ce temps prépare le dîner. Elle a la chance de vivre seule. Ses beaux-parents résident à quelques kilomètres du village. Ils ont un troupeau de moutons, des arbres fruitiers et une vigne. C'est la période des récoltes. Ils vivent dans la vieille maison en terre et ils ne viennent jamais au village. Mohand, son mari, est le facteur du village. Il a construit deux petites pièces et une petite cour. Ils habitent au village depuis deux ans et Aïcha est vraiment comblée. Elle échappe ainsi à l'arrogance de ses beaux-parents. Et son mari est un homme attentionné et très calme. Ils mènent une vie tranquille. Les rares fois où elle était inquiète, elle ne peut s'empêcher de penser à ce qui leur manquait. Elle aurait voulu lui donner un fils. C'était son seul souci avant d'emménager au village. Elle avait toujours craint que sa belle-mère n'ait l'idée de suggérer à son fils de prendre une seconde épouse afin d'assurer sa descendance. Maintenant qu'elle vit loin d'eux et qu'ils ne peuvent pas influencer son mari, elle s'efforce d'être une épouse modèle. Ainsi, Mohand ne se détournerait pas d'elle. Même si, à son grand regret, elle ne lui a pas donné un fils. - Yemma ! Yemma ! vava est de retour ! Aïcha est tout émue en entendant les cris de joie de sa fille. Celle-ci a déjà oublié sa peine. Avant de sortir dans la cour pour les accueillir, elle jette un coup d'œil dans la petite glace posée sur la cheminée. Le reflet qu'elle lui renvoie la rassure. Elle est belle et le foulard en soie rouge lui va à ravir. Le sourire aux lèvres, elle va à leur rencontre. Mohand et Daya sont déjà entrés dans la cour. Tout comme elle, ils sont heureux de la voir. Le bonheur se lit dans leurs regards… A. K. (À suivre)