Le directeur de la clinique, son chargé de l'administration, l'ambulancier et deux agents de sécurité de l'établissement sanitaire privé ont été écroués. Deux gynécologues ont été placés sous contrôle judiciaire alors que le directeur technique a été laissé en liberté provisoire. Ils sont impliqués dans l'affaire des fœtus déterrés non loin d'une décharge à El-Achir dans la wilaya de Bordj Bou-Arréridj. De mémoire de Mansouri (habitant de Mansourah), petite ville paisible de la wilaya de Bordj Bou-Arréridj, cela fait bien longtemps que le parquet n'a pas connu une aussi curieuse animation. Des policiers et des gendarmes sont postés devant le tribunal où a eu lieu, hier, la présentation des principaux mis en cause dans l'affaire des fœtus découverts près d'une décharge de la commune d'El-Achir. Dans cette même ville réputée depuis longtemps déjà par les délicieuses brochettes d'agneau à la braise, le sujet qui est dans toutes les bouches est cette affaire largement commentée par les médias. Dans la rue, les cafés et autres lieux publics, on en parle avec une certaine hésitation. Exagérément, des rumeurs circulent que les nouveau-nés sont utilisés dans des cas de sorcellerie. À tort encore, on fait allusion à un commerce d'organes. Il faut dire que l'imagination dépasse la fiction d'autant que la région est connue pour être conservatrice. Ce tabou est venu quand même casser les traditions. Avortements collectifs, médecins charlatans, malédiction sont autant de mots que certains mal pensants collent à cette histoire qui a fait couler beaucoup d'encre et de salive. Qu'en est-il au juste ? Pour cerner le problème, nous avons approché tous les intervenants. À l'origine, un coup de fil anonyme reçu par le groupement de gendarmerie de Bordj Bou-Arréridj sur l'existence au niveau d'un terrain vague, et non d'une décharge (cette dernière est à quelque 100 m des lieux), d'un cimetière non contrôlé et où sont enterrés des nouveau-nés. Les formalités d'usage accomplies, les services de la gendarmerie ouvrent une enquête après avoir découvert des fœtus, et non des corps de nourrissons. S'agit-il d'un cimetière “clandestin” ? Au début, tout laissait supposer qu'on était devant un cas d'espèce. Quelques jours après la découverte macabre, on s'est rendu compte qu'il n'y avait aucun lien avec une opération d'avortements collectifs. Du moins, c'est ce qui ressort des déclarations des parties concernées. “Nous sommes des mères de famille” Dans le hall des pas perdus, un groupe de femmes discute à voix basse. Certaines ont les traits tirés. D'autres plus sereines écoutent les plus agitées. Elles, ce sont les dames qui ont subi l'avortement ou l'interruption volontaire de grossesse. En nous présentant comme journaliste, elles ne voient aucun inconvénient pour parler du sujet d'actualité à El-Achir. “J'ai en effet accepté d'avorter sur conseil de mon médecin traitant. Les différents examens que j'ai subis ont prouvé la nécessité de pratiquer cette opération ; à défaut, c'est ma santé qui serait en danger. Devant pareille situation, je n'avais aucun choix”, dira la première. Sa voisine, plus jeune, abondera dans le même sens. “Nous sommes des mères de famille respectables et foncièrement contre l'avortement. Mais quand une prescription médicale dûment prouvée par un spécialiste nous conseille d'interrompre une grossesse très risquée, aussi bien pour le fœtus que pour la maman, je pense qu'il n'y a pas de place à l'hésitation.” Déterminées pour “la cause juste”, elles attendent d'être auditionnées par le procureur. Ce dernier a du pain sur la planche. En plus des quatre mis en cause directement liés à cette affaire, à savoir l'ambulancier qui a transporté les sachets contenant les fœtus, les deux agents qui l'ont aidé dans sa tâche et le chargé de l'administration, beaucoup d'autres personnes devaient être entendues dans la journée d'hier. Il s'agit notamment du directeur de la clinique Bourenane-Lichifa, du directeur technique (un chirurgien), des gynécologues et des sages-femmes qui ont pratiqué l'intervention. On chuchote que le principal mis en cause serait le chargé de l'administration qui a commis une faute presque fatale. De l'avis de tous, ce dernier n'a pas respecté la règle d'usage. “Il aurait dû incinérer les fœtus sachant que la clinique dispose du meilleur incinérateur de la région”, dit-on. Pour sa défense, le mis en cause répond que ses principes religieux lui interdisent de brûler le moindre bout de chair humaine. “Mais, il suffisait d'accomplir autrement la formalité d'usage en demandant l'autorisation d'enterrer à la municipalité”. Chose qu'il n'a pas faite et qui sera certainement retenue contre lui. “Une bêtise”, commentera l'un des avocats. La défense qui attend la fin des auditions fera remarquer toutefois qu'il existe un vide juridique quant à l'incinération ou non des fœtus. Un point sur lequel les avocats comptent s'appuyer en plus du geste non réfléchi du mis en cause pour plaider non coupable. Qui contrôle les cliniques ? La clinique Bourenane-Lichifa est un joyau architectural qui ferait rougir d'envie plus d'une structure médicale. Elle est dotée de toutes les commodités. Ascenseurs, salles d'attente, buvettes, téléviseurs… La propreté constatée et rehaussée par le marbre à tous les niveaux reste irresponsable. Avec 65 lits et une capacité maximum de 120 en cas de nécessité, cette clinique prend en charge plusieurs spécialités dont la gynécologie, la traumatologie, la neurologie, l'urologie, la médecine générale et la chirurgie. “Nous prenons souvent en charge les malades qui n'arrivent pas à avoir une place au niveau du secteur étatique. Située sur l'axe routier principal, elle contribue également à la prise en charge des accidentés de la route”, explique Brahim, l'aîné des Bourenane (3 frères) investisseurs dans la région. “Initialement, on voulait construire un hôtel, mais les parents s'y sont opposés pensant que l'hôtellerie pourrait favoriser des pratiques allant à l'encontre de la morale”, fera-t-il savoir. Pourquoi donc en arriver là alors que cet établissement recèle des spécialistes compétents ? Les gynécologues interrogés sur la question avouent ne rien comprendre à ce qui vient d'arriver. Il n'y a même pas de faute professionnelle ou encore d'erreur médicale. Les interventions ont été pratiquées sur des sujets consentants, mais surtout malades. Dans d'autres milieux, on parle d'avortement dans le sens où des parties de corps de nouveau-nés (jambes, bras) auraient été trouvés à proximité du lieu où étaient enterrés les fœtus. À la clinique, on s'en défend. “En dehors du fait que le mis en cause n'a pas respecté la réglementation, nous pouvons confirmer qu'il n'y a aucun aspect illégal à l'acte du moment que chaque fœtus avait sur lui une fiche indiquant les noms et prénoms des parents”, dira le directeur technique, chirurgien de son état. Brahim Bourenane revient à la charge pour préciser que les actes médicaux ne répondant pas à la législation en la matière ne sont pas admis par l'établissement. Cet investisseur reste tout de même serein quant à l'issue de cette affaire. Cependant, une question taraude l'esprit : qui contrôle les cliniques privées ? Sinon pourquoi se contenterait-on au niveau de la tutelle de recevoir des rapports trimestriels au lieu d'effectuer des visites inopinées ? A. f.