Le procès de la caisse principale d'El Khalifa Bank, premier d'une série relevant d'une affaire beaucoup plus vaste, charrie depuis son ouverture le 8 janvier dernier, son lot d'appréciations ou de critiques. Certains constats peuvent d'ores et déjà être tirés, certaines défaillances apparaissent aussi. Depuis le début de ce procès, beaucoup de choses ont été dites, beaucoup de choses ont été écrites. On voit certains coins d'ombres s'éclaircirent, d'autres rester tels quels. Et l'on s'interroge. Au-delà des appréciations subjectives ou objectives sur la dimension et la portée du procès, des problématiques de fond apparaissent déjà. S'agit-il du procès de la caisse principale de KB, des institutions de l'Etat ou bien de l'affaire Khalifa ? Depuis son ouverture, le procès aura connu différentes phases, la première étant celle de la caisse principale puis en essayant de démontrer la responsabilité de l'ancien gouverneur de la Banque d'Algérie, le tribunal a pointé dans la forme et involontairement celle de l'institution. Il ne s'agit pas du procès Khalifa mais juste de l'un d'entre eux. Quel est le préjudice réel des agissements et des pratiques des responsables de Khalifa Bank mis en évidence par cette affaire? Le préjudice estimé dans ce procès est nettement inférieur au préjudice réel. Le propos est de l'expert judiciaire nommé par le juge d'instruction ainsi que du liquidateur d'El Khalifa Bank. Ce préjudice ne pouvant être déterminé qu'à la clôture de la liquidation. Comment une instruction a pu aboutir alors sans que les comptes de la liquidation n'aient été assainis ? Par ailleurs, certains témoins défilent à la barre pour témoigner de faits qui valent à d'autres de se retrouver au banc des accusés. Ils ressortent néanmoins par la même porte, celle des témoins. Autre faille, celle mise en relief hier par le témoignage d'Abou Djerra Soltani. Le ministre d'Etat a déclaré que deux documents estampillés République algérienne démocratique et populaire, portant l'en-tête du ministère du Travail, sa signature et son cachet étaient des “faux” sans que la défense ne prenne acte, ni que le représentant du ministère public ne réagisse. Pire, l'un des documents a été versé dans le dossier de fond d'un accusé et que son avocat à remis au juge d'instruction. L'avocat dira même que c'est sur la base de ce document qu'il a plaidé auprès de la chambre d'accusation. Toutefois, ce document ne figure pas dans le dossier transmis par la chambre au tribunal criminel. Et la défense n'a pas réagi. La loi algérienne comporte également ses propres failles, comment appréhender le fonctionnement du système bancaire et financier en occultant le délit d'initié ? Des questions demeurent néanmoins sans réponses. Il y a un décalage certain entre la réalité vécue et celle relatée aujourd'hui. Entre ce que véhiculaient l'imaginaire public et la vox populi à l'époque des faits, et ce que fait ressortir aujourd'hui le procès. Il est tout de même étonnant d'entendre à l'extérieur, à peine les portes de la salle d'audience franchies, ce qui ne se dit pas à l'intérieur. Si les dédales du palais de justice pouvaient parler, ils en auraient à dire et à redire. Et ils dénonceraient en premier une loi du silence qui fasse qu'un accusé ayant une épée de Damoclès au-dessus de la tête, celle de se retrouver peut-être condamné à vingt ans de prison pour association de malfaiteur, ne dise pas tout ce qu'il sait ou tout ce qu'il tait. Agit-il par peur ou par méconnaissance, la réponse est entre ses mains. Face au silence intriguant des accusés et du principal concerné, dont les sorties médiatiques se sont succédé ces derniers jours après des années de silence, et en l'absence de preuves concrètes et palpables, nul ne peut étayer les “dires” ou les “ouï-dire” et les discussions de café. Et si la défense dénonce à l'extérieur un tribunal à charge, elle n'en fait pas cas à l'intérieur dans le cadre du code de procédures pénales, chose que lui confère la loi. Mais une défense peut-elle aller au-delà de la stratégie choisie et définie par son client ? Sachant également qu'il n'y a pas de stratégie de défense commune, les intérêts des accusés étant divergents dans la majeure partie des cas. Les audiences successives, notamment celles relatives aux organismes publics mettent bien malgré elles, à nu, les pratiques et moeurs d'un système de gestion et de décision qui va à l'encontre des normes légales et des pratiques logiques de bonne administration. En particulier, celui du non-respect des lois et règlements que ce soit au niveau d'El Khalifa Bank ou des organismes publics. Le “pouvoir de l'habitude”, dixit Abdelmajid Sidi-Saïd. La loi, on y fait référence, mais c'est l'habitude qui prime. Face à l'habitude, la culture de l'intérêt général paraît bien mince, voire inexistante. Le tribunal qui cherche depuis l'ouverture du procès la faille lui permettant de juger le dossier, a mis en exergue cette problématique se résumant au non-respect et à l'occultation du cadre réglementaire. En filigrane, il y a également la responsabilité d'un système d'administration des ressources humaines qui ne permet pas au-delà du cadre général de protéger par un cadre spécifique les représentants de l'Etat. Ce fameux statut des cadres, qui définit quels que soient leur niveau de responsabilité, leur régime socioprofessionnel, trace leur parcours et englobe également les conditions de leurs nominations ou de leur relève, en somme leur progression de carrière. Celle-ci étant suspendue à un décret. On assiste depuis des jours à une certaine banalisation de la valeur et de la compétence des cadres de la Nation en général pour faire ressortir en particulier la “mesquinerie” qui pousse un fonctionnaire qu'il soit en haut ou en bas de l'échelle à ignorer ou à contourner la loi pour un billet d'avion, une carte de gratuité à la thalassothérapie, voire pour des intérêts sur des dépôts de fonds ne lui appartenant pas. La responsabilité de chacun n'est pas le propos. Il n'empêche que l'Algérie n'aura pas su protéger ses cadres des affres de la corruption et c'est précisément cette image qui est transmise aujourd'hui. De corrompus et de corruptibles. Il y a lieu toutefois de reconnaître une valeur certaine à ce procès, celle d'avoir fait défiler à la barre des personnalités, des ministres, des responsables en exercice. De mémoire de tribunal, c'est à inscrire dans les annales judiciaires. Ceux-là ont dû s'expliquer sur leur gestion, sur leur responsabilité en tant que premiers responsables d'un secteur. Il ne revient pas à ce tribunal de juger de cette responsabilité, la loi leur conférant à tous un avantage, celui du privilège de juridiction. L'instruction en cours actuellement à la Cour suprême permettra peut-être d'avoir une réelle définition des responsabilités politiques ou institutionnelles. Le message véhiculé par leur présence à Blida dépasse le strict sens d'un témoignage. Il est peut-être celui de la fin d'une impunité. Chacun quel que soit son niveau de responsabilité pouvant se retrouver face à des magistrats, face à des avocats. Cela va donner peut-être à réfléchir à beaucoup. S'agit-il aujourd'hui après avoir entendu les accusés, les représentants de la Banque d'Algérie, des différents ministères, des ministres en exercice ou en poste à ce moment-là d'une responsabilité institutionnelle, politique ou individuelle ? La question demeure pour l'instant sans réponse même si le procès se déroule en toute “transparence”, dixit la présidente, et que les vérités, celles de chacun des intervenants, sont dites. La leçon est bonne quoi qu'on puisse en dire. Ses enseignements viendront peut-être par la suite. Samar Smati