Il arrive que certains mendiants sous-traitent leurs emplacements à de nouveaux venus dans le métier en contrepartie d'une rente de cession, comme si on cédait un fonds de commerce ou des actions d'une entreprise prospère. Sur la placette principale du centre-ville, trois femmes sont assises côte à côte, à même le sol. Chacune d'elles tenant dans ses bras un bébé qui dort, enroulé dans une couverture sale. À côté, un biberon de lait auquel elles ajoutent un somnifère pour que leurs petits rejetons ne les dérangent pas dans l'accomplissement de leur “boulot”. Pour les responsables de l'action sociale, le recours aux bébés pour apprivoiser “les clients” est devenu l'instrument adéquat entre les mains de ces mendiantes professionnelles. Cette progéniture, innocente et victime d'un grave dérapage dans les mœurs, risque de développer plusieurs pathologies organiques et psychologiques qui se manifesteront avec l'âge par des troubles psychiques et comportementaux. Devant le laxisme des autorités, le problème de la mendicité à Tébessa devient d'actualité. Dans le vieux Thevest, des mendiants, de tous âges et des deux sexes, dans tous les coins de la ville. Des dizaines, voire des centaines à certaines occasions, se fixent à longueur de journée devant les boulangeries, les épiceries, le marché central, l'aérogare, les cafés et les mosquées, tendant la main à la recherche de quelques pièces. Ils utilisent tous les moyens possibles et imaginaires pour attirer et convaincre les passants. “Maârouf li Lah, aide-moi, je suis une femme malade, mère de six enfants, ayez pitié d'une femme sans ressource, pauvre et malheureuse...” D'autres citent des versets coraniques, exhibent des factures de loyer, des négatifs de radiologie... La plupart des mendiants font sciemment de ce salir le visage et les vêtements pour montrer une véritable silhouette misérable. Enfin, à chacun son refrain et sa technique d'approche ! Effectivement, le phénomène de la mendicité a déjà pris de l'ampleur dans notre société, il est devenu à Tébessa un véritable métier. Au niveau de la placette de l'ancienne ville, une nuée de mendiants, qui fait le va-et-vient à longueur de journée, sait pertinemment que la concentration de passants est propice à glaner des pièces de monnaie. L'aérogare de la ville de Tébessa est devenue l'emplacement privilégié des mendiants. Des querelles et des rixes pour se départager les espaces sont monnaie courante, sachant que la recette minimum d'un mendiant installé dans ces lieux est en moyenne de 2 000 DA. Ces endroits “juteux” qu'offre la ville de Tébessa par leur position stratégique sont devenus des espaces favorables à la mendicité, où chaque mendiant circonscrit et trace son territoire d'action. Il arrive que certains d'entre eux sous-traitent leurs emplacements à de nouveaux venus dans le métier en contrepartie d'une rente de cession, comme si on cédait un fonds de commerce ou des actions d'une entreprise prospère. Ces mendiants viennent des zones rurales de Meskiana, d'El Ogla, de Dalaâ, de Bir Mokadem et de Bekkaria. Ils sont aussi issus des quartiers précaires qui ceinturent la ville de Tébessa et même de la lisière frontalière. Toutefois, s'il y a des mendiants qui sont là par vice, d'autres, surtout des femmes, dont beaucoup de jeunes divorcées et de veuves, n'ont que cette alternative pour subvenir à leurs besoins essentiels, dans une société de plus en plus égoïste. Autrefois, les mendiants à Tébessa se comptaient sur les doigts d'une seule main. Ils étaient connus et intégrés dans une sorte de dispositif informel d'action sociale. Aujourd'hui, leur nombre croît de jour en jour, sans qu'ils soient au cœur d'une nouvelle approche des institutions publiques concernées par ce phénomène. HAFID MAÂLEM