Le treizième jour d'audience du procès de la BCIA, marqué par des révélations, s'est déroulé hier matin dans la salle d'audience du palais de justice d'Oran, avec l'audition de l'expert désigné par le juge d'instruction M. Djaâfri Mokhtar. Ce dernier a pendant plus de deux heures fait état des différents constats qu'il a eu à dresser durant son expertise sur, entre autres, le préjudice réel causé à la BEA, sur la responsabilité des uns et des autres, c'est-à-dire autant les gestionnaires de la BEA de l'agence Yougoslavie et de Sig, que les commerçants et hommes d'affaires aujourd'hui dans le box des accusés. Mais le rapport de cet expert a aussi, et surtout, permis de mettre en relief toutes les opérations bancaires techniques qui ont eu pour conséquence de provoquer ce préjudice financier de 13 milliards de DA, des opérations qui auraient presque l'aspect d'un système mis en place. Ainsi, répondant à chaque fois aux questions du juge autour des causes du préjudice, l'expert évoque l'éclatement de l'affaire, c'est-à-dire le refus de la BCIA de régler les 41 traites avalisées en déclarant d'emblée que ce rejet était non fondé : “Je n'ai jamais vu une banque refuser d'honorer sa propre signature, son propre engagement… C'est impossible de voir une banque rejeter ses traites pour ne pas les honorer ! Dans le monde, il y a des pratiques dans les banques qui sont connues et utilisées ; par exemple dans le cas où la banque n'a pas assez de fonds, elle fait appel au marché monétaire, elle emprunte, cela se passe tous les jours… Ou encore la BCIA pouvait payer avec ses propres fonds.” Poursuivant, M. Djaâfri Mokhtar explique la situation d'alors au niveau de la BCIA et des deux agences de la BEA par la mise en place d'un système de fonctionnement où des traites avalisées et arrivées à échéance étaient couvertes par d'autres traites provoquant ainsi “un cercle vicieux”, où encore dans le cas des chèques certifiés émis par la BEA de Sig et encaissés par la BCIA, ainsi que d'autres banques comme Union Banque qui a fermé entre-temps, la BNP, Natexis… sans que les comptes des bénéficiaires des chèques ne soient approvisionnés. “Emettre des chèques sans approvisionnement, cela est impossible dans les institutions financières ; or, cela s'est répété à plusieurs reprises”, déclarera encore l'orateur au juge. L'expert fera ainsi une première révélation qui pourrait appeler d'autres prolongements de l'affaire. Au cours de son travail, ce dernier dit avoir découvert au niveau de la BEA de l'agence Yougoslavie d'autres traites en instance ; donc l'éclatement de l'affaire avec le refus de Kharroubi d'honorer ses 41 traites a brusquement mis fin à ce système de traites avalisées, bloquant le tout. Répondant au juge qui demandait plus de détails, l'intervenant qui, au bout d'une heure, sera autorisé par le juge à s'asseoir, expliquera : “La BEA à ce moment-là n'avait pas fini l'assainissement de ses comptes internes. J'ai trouvé d'autres situations à la BEA.” Et de poursuivre plus loin : “Au moment de l'expertise, la BCIA était déjà fermée avec un liquidateur nommé, je n'ai pas pu avoir accès à tous les documents et autres relevés. J'ai fait des recoupements.” Interrogé par le juge sur la nature et “la légalité” des traites, l'intervenant expliquera que les traites sont un moyen de paiement qui matérialise une opération commerciale, “mais une traite, une autorisation de crédit, doit être garantie par une caution solidaire ou une surface patrimoniale. De plus, ces traites doivent être accompagnées de documents précis des obligations qui sont prévus dans le code du commerce (bon de commande, facture pro forma, etc.), ce qui fait qu'il est quasiment impossible d'avoir des chiffres ronds.” Et d'ajouter plus loin que c'est là un signe qui aurait dû alerter les responsables de la BEA. La direction générale de cette banque aurait dû s'inquiéter également de la multiplication des traites avalisées émanant seulement de la BCIA, d'autant plus que, depuis l'année 2000, ce système semblait se répéter. Parmi les autres anomalies constatées lors de l'expertise, les cas où comme, par exemple, Sotraplat qui bénéficiait d'une autorisation de crédit par la BEA de 800 millions de DA a en une journée établi des ordres de virement 3 fois et demi supérieur au crédit. Un autre moment fort de cette journée a été vécu avec la demande du procureur général de préciser presque au cas par cas le cheminement et l'aboutissement final des sommes, les traites avalisées par la BCIA qui sont passées à la BEA qui les a réglées en effectuant des virements vers le compte de certains accusés où des sociétés comme Sotraplat, SNC Fouatih et Nebia, domiciliées à la BCIA. C'est-à-dire une façon d'attirer les liquidités de la BEA pour qu'elles aboutissent enfin dans les comptes des clients domiciliés à la BCIA. “Aujourd'hui, les avals de la BCIA sont tous revenus à la BCIA”, déclare l'expert qui poursuit : “Si l'on avait accès à tous les documents de la BCIA, on pourrait savoir où est passé cet argent.” Là une fois encore l'absence de Kharroubi empêche les débats d'aller au fond des choses. D'ailleurs, l'un des avocats de la partie civile a demandé la présence du liquidateur de la BCIA. En début d'après-midi, la parole a été donnée à la défense des accusés qui n'ont pas manqué d'accabler l'expert qu'on a souvent durement accusé de faire des commentaires, alors que cela ne relève pas de son rôle. “Il agit comme une partie de l'accusation”, lâchera l'avocat de Fouatih. F. Boumediene