Richard Perle, faucon parmi les faucons, a démissionné du Conseil pour la politique de défense. La démission surprise de l'homme qui travaillait sur la stratégie future de l'armée américaine, Richard Perle, ajoutée au silence prolongé des principaux partisans de l'usage de la force contre l'Irak, sont des signes qui ne trompent pas sur une crise latente dans le cabinet de guerre. En effet, contre toute attente, Perle le plus farouche défenseur de l'option militaire pour désarmer Bagdad, a fini par jeter le tablier sous le prétexte qu'il a un lien direct avec la gestion de l'après-guerre. Un état de fait qui renseigne sur les divergences parfois graves autour du partage du gâteau entre les différents intervenants. Cette situation se manifeste également à un niveau plus élevé entre Washington et Londres dont les visions sur cette question précisément sont diamétralement ou presque opposées. Bush et Blair tentent, chacun de son côté, d'arracher le maximum de marchés pour les entreprises de leur pays. C'est dans cette optique que le Premier ministre britannique a tenu récemment une réunion de travail avec les chefs d'entreprise les plus importantes du Royaume-Uni. Le voyage effectué par Blair, la semaine dernière, à Camp David pour tenter d'arracher davantage de concessions auprès de son allié Bush n'a apparemment pas servi à grand-chose. Revenu bredouille, le Chef du gouvernement, mis mal à l'aise au sein de son propre parti, est en phase de recherche d'autres soutiens en Europe et notamment du côte des Français comme le laisse supposer la teneur de la conversation qu'il a eue, hier, avec le président Jacques Chirac. Les deux hommes partagent le même point de vue sur la gestion de l'Irak après la fin de la guerre. Ceci dit, c'est à la Maison-Blanche que les choses se compliquent le plus. Depuis le début de la guerre, des figures emblématiques de l'administration Bush se sont éclipsées de la scène. A l'exception de Donald Rumsfeld et du président, aucune personnalité ne s'est médiatiquement impliquée. Même le secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères, censé accompagner diplomatiquement l'offensive militaire est aux abonnés absents. Colin Powell, lui que les observateurs considèrent comme une colombe, est totalement effacé, cédant la place au secrétaire d'Etat à la Défense. L'homme qui connaît mieux que quiconque le terrain pour avoir dirigé les opérations durant la première guerre Golfe en 1991, est aujourd'hui soupçonné d'avoir une vision contraire de celle de ses collègues. D'ailleurs, le fait que Bush ait chargé Elliot Abrams, conseiller aux affaires du Moyen-Orient, de seconder Powell au cours des débats sur la résolution 1441 au Conseil de sécurité, est en soi une surveillance de la conduite du chef de la diplomatie. Ce dernier avait suscité avec ses idées pro-européennes sur cette crise des appréhensions parmi les proches du locataire du bureau ovale. L'autre silence, tout aussi intrigant, est celui de la conseillère très spéciale du président, Condoleeza Rice. Celle qui a pris son avion en direction de New York pour aller à la rencontre de Hans Blix pour le presser de mettre fin rapidement aux inspections s'est subitement tue. Elle n'apparaît même plus aux côtés du patron de la Maison-Blanche lors des différentes cérémonies officielles. La question qui s'impose est de savoir si la chargée de la sécurité nationale américaine n'est pas tombée en disgrâce dans le cabinet de guerre où elle jouissait jusque-là d'un rôle prépondérant. A la faveur de l'éclipse de Powell et Rice, émergent ceux qui font une fixation sur la chute de Saddam Hussein, à l'image de Tommy Franks, Paul Wolfowitz et Elliott Abrams. Si cette crise se confirme par d'autres démissions, il est fort à parier que la stratégie américaine connaîtra un réaménagement, pour ne pas dire un revirement. Reste à savoir par quel stratagème Bush justifiera-t-il un éventuel camouflet en Irak, après le revers essuyé en Afghanistan ? K. A. / M.A.O.