L'Ethiopien Kenenisa Bekele, auteur d'un nouveau doublé aux championnats du monde de cross-country, samedi et dimanche, à Avenches, se cache encore derrière le monument Haïlé Gebrselassie, quand il évalue son potentiel sur piste, jusqu'à présent largement inexploité. Néanmoins, selon son entraîneur Woldemeskel Kostre, le champion d'Arsi possède toutes les qualités pour devenir aussi un grand sur les anneaux en synthétique. Bekele, 20 ans et demi, est déjà entré dans la légende du cross-country. Mais, comme l'a souligné son jeune compatriote Gebregziabher Gebremariam (18 ans et demi), troisième dimanche du cross long, “rien n'est plus prestigieux qu'un titre olympique.” “J'admire Kenenisa et Haïlé, mais davantage ce dernier, car il a permis au drapeau de notre pays de s'élever tant de fois. J'espère que Kenenisa suivra son exemple”, a expliqué le jeune homme à la foulée ample et majestueuse, qui lui masque ses ambitions en se référant à deux exemples. Gebrselassie, 29 ans, est une icône avec ses deux médailles d'or aux JO et les quatre titres mondiaux, tous acquis sur 10 000 m. “C'est un champion absolu. Si je dois courir contre lui les prochaines semaines, ce ne sera pas pour le battre", explique-t-il. “La piste, c'est autre chose. Je n'ai pas la même force. Surtout que je n'ai pas beaucoup couru sur piste et que je dois améliorer ma tactique”, plaide l'empereur du cross Bekele. L'an dernier, après son doublé historique de Dublin, des problèmes à un talon d'Achille l'avaient stoppé jusqu'en novembre. Des douleurs abominables, lors du 5 000 m de la réunion de Rome, comptant pour la sélection éthiopienne en vue des Mondiaux d'Edmonton, ne lui avaient pas permis de se qualifier. S'il préfère rester modeste, Bekele ambitionne de briller sur 5 000 ou sur 10 000 m aux championnats du monde de Paris-Saint-Denis, fin août : “Je vais disputer bientôt des courses sur les deux distances et les résultats décideront du choix.” Gebrselassie l'avait déjà adoubé comme son successeur, il y a un an quand Bekele, originaire comme lui de la région d'Arsi, avait stupéfait le monde à Dublin. D'ailleurs, physiquement, le maître et son élève se ressemblent : gabarit de poche, buste droit, foulée dynamique et économe à la fois. Comme le double champion olympique n'est pas encore décidé à tenter l'aventure du marathon, les deux pourraient s'affronter en finale du 10 000 m au Stade de France. A moins que la Fédération éthiopienne refuse un tel crime de lèse-majesté... Bekele a beau répéter que “tout est dans les mains de Dieu” ; nul doute qu'il croit plus que jamais à sa propre force mue par un souffle inépuisable et que même les idoles sont faites pour être déboulonnées.