Conscient de la gravité des conséquences du fort taux d'abstention lors de la présidentielle de 2002, qui avait permis au leader du Front national de provoquer un véritable séisme politique dans l'Hexagone, en passant au second tour au détriment de Lionel Jospin, l'électorat français a rectifié son erreur avant-hier en se présentant en masse aux urnes. Outre le vote en masse, Jean-Marie Le Pen a également fait les frais de la stratégie du candidat de la droite, Nicolas Sarkozy, lequel s'était attelé à capter les voix de l'extrême droite. Il n'en fallait pas plus pour replacer le patron du Front national dans sa véritable dimension sur l'échiquier politique français. L'échec est d'autant plus cuisant pour Le Pen, car il constitue son premier grand recul depuis le début de son ascension en 1988, dont le point culminant aura été incontestablement son passage au second tour de la présidentielle de 2002 aux dépens du candidat socialiste. Il avait recueilli pas moins de 4,8 millions de voix. Mais, cette fois-ci et malgré une participation historique au scrutin, il a à peine dépassé les trois millions et demi de voix. Pour justifier sa déroute, somme toute conforme à son poids politique réel, Jean-Marie Le Pen affirmera s'être “trompé de société”. “Je croyais que les Français étaient assez mécontents du fait que nous ayons 7 millions de travailleurs pauvres et que nous ayons une balance commerciale en déficit, que nous ayons une dette de plus de 2 500 milliards d'euros, eh bien, je m'étais trompé”, a-t-il notamment déclaré suite à l'annonce officielle de sa défaite. Il poursuivra dans le même ordre d'idées en promettant aux Français un avenir sombre : “Je crains que les Français n'aient été abusés et je leur prédis avec tristesse des lendemains qui déchantent.” Pour les dirigeants de ce parti extrémiste, la défaite ne constitue pas forcément un coup d'arrêt à l'ascension fulgurante qu'il a connue ces dernières années. C'est du moins l'avis de la fille de Jean-Marie Le Pen, Marine, qui estime : “Le Front national est plus que jamais nécessaire, il reste la seule grande force d'opposition.” Elle a emboîté le pas à son père, lequel refusant d'admettre la réalité, le patron du FN avait dit quelques instants auparavant : “Nous avons gagné la bataille des idées, la nation et le patriotisme, l'immigration et l'insécurité ont été mis au cœur de la campagne par des adversaires qui, hier encore, écartaient ces notions d'un air dégoûté.” Entretenant le suspense, il refusera de donner dans l'immédiat des consignes de vote pour le 6 mai, date du second tour entre Sarkozy et Royal. “Le 1er mai, je parlerai sur la place de l'Opéra, je donnerai à ce moment-là la consigne que j'estimerai être la bonne”, a-t-il indiqué à ce sujet. Ceci étant, des responsables du parti n'ont pas hésité à accuser Nicolas Sarkozy d'être la cause directe de la disqualification de Jean-Marie Le Pen. “Sarkozy a dragué honteusement notre électorat. Dans un sens, c'est une victoire dans les esprits du FN”, a affirmé Jean-François Touzé, secrétaire national aux élus et à la coordination des groupes du FN. Il ne manquera néanmoins pas de prédire l'échec à Sarkozy parce que, ajoute-t-il : “Mais nous pensons que Sarkozy échouera. Nous prenons date, demain nous serons là pour montrer la voie, faire des propositions et les appliquer. Le jour où les Français comprendront qu'une fois de plus ils ont été bernés, la victoire sera inéluctable.” K. ABDELKAMEL