La France s'est réveillée, comme l'Algérie en 1991 face à la menace de l'ex-FIS, avec la gueule de bois. La surprise de l'affiche Chirac-Le Pen a provoqué un véritable séisme politique en France. En dépit des scores honorables réalisés par le patron de l'UDF François Bayrou, d'Arlette Laguiller et surtout la huitième place du plus jeune candidat, le trotskiste Olivier Besancenot qui a tout de même devancé la draisine Hue, la machine Madelin et la carrosserie Mégret la défaite de Lionel Jospin, donné à l'avance, par la presse, comme second homme de la République face à l'éternel ennemi de la gauche et de la droite, Jean-Marie Le Pen, a été l'amère réalité découverte hier matin par les Français. La guerre fratricide entre la gauche et la droite a finalement fait le lit de l'extrême droite en France. Le taux d'abstention, la montée sensible de la popularité de Le Pen, mais surtout la division de la gauche ont conduit à ce scénario impossible pour un pays connu pour le langage de la paix et la cohabitation politique. La France a été victime de sa propre démocratie. Une démocratie à l'américaine où on donne la chance à toutes les tendances tous courants confondus. S'il y avait seulement six candidats, les électeurs n'auraient pas été si perdus dans leurs choix et n'auraient pas donné la chance au leader décrié de l'extrême droite de conquérir le fauteuil de colocataire de la France. C'est aussi une victoire historique pour cet ancien capitaine des parachutistes qui avait torturé des Algériens durant la Bataille d'Alger en 1957. Jean-Marie Le Pen avait créé le Front national au début des années 70. C'est la montée du PS et de Mitterrand en 1980 qui l'a surtout mis sur les rails de la politique. Ultranationaliste opposé à l'Europe, il prône le discours «d'une France aux Français», il a aussi toujours exprimé son rejet de la cohabitation avec les étrangers particulièrement les Arabes et les Juifs. Avec cette victoire, il prend une véritable revanche sur ses adversaires politiques qui avaient tout fait pour l'exclure du Parlement européen où il avait un siège. C'est aussi une leçon historique pour les socialistes qui avaient trop cru en leur bonne étoile et ne s'étaient pas trop préoccupés de la menace «Le Pen». Jospin, souvent mal conseillé, s'est contenté durant sa campagne de tirer à boulets rouges sur Chirac. Alors que le vrai danger était ailleurs. L'échec de la gauche est aussi l'échec d'un courant qui a mal su rassembler les voix et les soutiens. Les 3,5 % récoltés avec grand-peine par le leader des communistes Robert Hue pouvait très bien servir Jospin à éviter le naufrage. Jospin aurait sauvé sa carrière politique et Hue serait sûr d'éviter le score misérable qu'il a été amené à découvrir au lendemain des élections. Avec seulement les voix de Christine Taubira et Hue, la France aurait pu éviter ce scénario catastrophe. Au lieu de cela, le Parti socialiste se retrouve détrôné par son ennemi proclamé et coupé de sa direction, qui a décidé, à la surprise générale, de quitter la scène politique après le 5 mai. Une autre mauvaise nouvelle pour les socialistes, qui sont mal partis pour préparer les législatives. Contrairement, aux craintes exprimées en France, depuis l'annonce des résultats, ce n'est pas le Front national qui est le plus grand gagnant des élections, mais plutôt, Jacques Chirac qui devient ainsi, le seul sauveur de la France face à l'extrême droite. Les Français ne voteront pas le 5 mai pour le candidat Chirac, mais pour le candidat de la République face à la menace Le Pen. Chirac, qui a fait une campagne modeste, sera l'homme de toutes les sollicitations. Il deviendra peu à peu le parrain, à qui on viendra demander un conseil ou un avis pour son avenir politique. Désormais, tous les courants vont frapper à sa porte. La droite en premier, la gauche en second, les communistes ensuite et les Verts après. Chirac est devenu la seule alternative pour le pays afin de quitter la zone rouge de l'extrême droite. Le Pen sera à ce moment-là surveillé de toutes parts et n'aura pas la même latitude qu'il avait au premier tour Même si on donne Chirac, vainqueur avec une large avance, il faudrait déjà penser et prévoir à l'avance les risques pour les législatives en se disant que même si Le Pen jouit de cette victoire contre Jospin, il a encore plusieurs cordes à son arc.