La veillée d'armes dans l'Hexagone prend fin aujourd'hui avec l'organisation du second tour du scrutin présidentiel Les Français, qui ont été littéralement tétanisés par l'arrivée du représentant de l'extrême droite au second tour de la présidentielle, se sont livrés tout au long de l'entre-deux tours à un exercice d'exorcisme pour conjurer le mal Le Pen. Il n'y en avait que pour lui en vérité. Dans un bel ensemble, les adversaires d'hier se sont rassemblés autour de Jacques Chirac, dans une union sacrée pour faire barrage à l'ultime avatar du me à la française. Les Français ont été horriblement secoués dans leur croyance que cela ne pouvait pas arriver à eux, qu'ils étaient immunisés contre le retour du me, fût-il habillé des ors de la «modernité». Cependant, ce sont bien les Français qui ont donné plus de 4 millions de voix à Le Pen, quand près de 20 millions, d'entre eux, n'ont pas jugé utile de faire leur devoir civique laissant ainsi la chance de sa vie au représentant de l'extrême droite d'accéder à la finale de la présidentielle française. Crise de la gauche? Crise de la droite traditionnelle? Il ne fait pas de doute que la communauté française - et plus certainement la classe politique - se débat aujourd'hui dans un labyrinthe où il leur est difficile de reconnaître les leurs. Seule l'extrême droite (et à un degré moindre l'extrême gauche) a su maintenir un discours politique et une position cohérents qui, à la longue, ont fini par titiller un nombre de plus en plus grand de Français plus enclins à croire, voire à adhérer au dynamisme d'un Le Pen qui n'hésite pas à aller au charbon, qu'au ronronnement quelque peu convenu, un rien méprisant envers le «peuple», de partis de la gauche et de la droite (qui cohabitent au pouvoir depuis de longues années) qui n'ont su ni se renouveler ni faire face avec efficience aux problèmes que rencontrent les Français. Le discours ultranationaliste de Le Pen, qui martelait constamment ce que les Français voulaient entendre, a captivé une grande partie de l'électorat qui voulait se rassurer, trouver des hommes politiques proches de ses préoccupations et capables de le prendre en charge. L'insécurité, le chômage, l'instabilité du travail que Le Pen n'hésitait pas à mettre sur le compte des émigrés ont fini par se traduire par le séisme du premier tour électoral. Les Français ont ainsi donné massivement leur voix à Le Pen, laissant sur le tapis une victime de choix : Lionel Jospin, brisant du même coup la carrière du leader socialiste que d'aucuns annonçaient brillante. Chirac est assuré de succéder à lui-même, tous les sondages lui prévoient de 75 à 82% des voix, mais l'enjeu n'est plus là, mais bien celui de savoir quel sera le score, ce soir, du patron du Front national. Celui-ci estimant même, vendredi dernier jour de la campagne électorale, qu'un taux en sa faveur de moins de 30-31%, serait rien moins que louche. Or, le défi qu'ont à relever les électeurs français, dans la consultation d'aujourd'hui, est de réduire la marge, autant que faire se peut, du potentiel électoral du candidat Le Pen. Le rendre à sa nature réelle de «sanafir» (nain) du paysage politique français. C'est en fait la raison primordiale de l'union sacrée autour de Jacques Chirac, le porte-drapeau de la droite classique, et l'appel pressant fait aux abstentionnistes du premier tour de venir voter en masse. La peur sera-t-elle bonne conseillère qui donnera aux Français de se réconcilier avec eux-mêmes en conjurant le mauvais sort, et les mauvais coups, que leur prépare Le Pen, dont l'ambition demeure, à travers un score «parlant» à la présidentielle, de récolter, aux législatives, les efforts assidus qu'il déploya ces dernières années pour redonner une dimension nationale à son parti, le Front national. Aux Français, qui sont aujourd'hui en appel, de détromper Le Pen et de lui montrer que le me ne passera pas et qu'il n'est pas près d'atteindre, et qu'il n'atteindra jamais le nirvana de la haute politique que représenterait pour lui l'accès aux Champs-Elysées.