Les relations algéro-françaises devraient connaître un recentrage en termes de renforcement de la coopération dans les secteurs stratégiques. Côté histoire et devoir de mémoire, le contentieux n'est pas près d'être résolu. La France vient d'élire un nouveau président de la République. Nicolas Sarkozy succède ainsi à Jacques Chirac. Au pouvoir depuis 1995 en succédant aux socialistes, Jacques Chirac, dernier des gaullistes, a incarné durant son règne les valeurs d'une France solidaire avec l'Europe, mais discriminatoire envers le sud de la Méditerranée. L'exemple de l'Algérie est frappant dans ce contexte. Paris est resté pendant longtemps coincé dans une certaine conception plutôt favorable aux islamistes, et il aura fallu les attentats du 11 septembre 2001 pour que cette vision soit revue pour une compréhension beaucoup plus réaliste. Après avoir été porté à la tête de l'UMP (Union pour un mouvement populaire), Nicolas Sarkozy a su rassembler les déçus de la droite et même de l'extrême droite. Le non français à la Constitution européenne un certain 29 mai 2005 a été le signe avant-coureur de l'échec de la politique d'intégration de Jacques Chirac. Le passage à l'euro, même s'il a marqué la concrétisation du rêve européen, n'en a pas induit une amélioration du niveau de vie des Français. Cette fameuse réplique “on gagne plus, mais on dépense plus” résume à elle seule le marasme des travailleurs dans l'Hexagone. Une contestation que Sarkozy a récupérée tout en dénonçant la politique des 35 heures qui, à ses yeux, s'est avérée une stratégie scandaleuse. Il a promis la réhabilitation du travail en ce sens que celui qui travaille plus devrait logiquement et inévitablement gagner plus. L'immigration et la politique de sélection Sarkozy ne s'est jamais départi de sa volonté de réorganiser la politique d'immigration, un thème cher à Le Pen du Front national au point où ce dernier l'a accusé d'“imposture”. En refusant la régularisation générale des sans-papiers, le président Sarkozy opte désormais pour le modèle allemand. À savoir une stratégie d'immigration sélective où seule la matière grise serait admise en plus, bien entendu, des métiers manuels. Le regroupement familial ne sera plus possible que si la personne a un logement et un travail lui permettant de faire vivre sa famille sans les allocations familiales. Cette situation, qui pourrait intéresser beaucoup d'Algériens en situation régulière dans l'Hexagone va, en revanche, avoir de fâcheuses conséquences pour les clandestins. Nicolas Sarkozy alors ministre de l'Intérieur avait fixé jusqu'à 21 000 le nombre d'étrangers “expulsables” de France chaque année. Mais si la tendance d'ouverture de la France s'oriente vers les pays de l'Est, dans le cadre de la préservation de l'espace judéo-chrétien, il n'en reste pas moins que la politique d'intégration que propose Sarkozy, au-delà de la réaffirmation des valeurs de la société française, s'inscrit dans cette logique de l'UMP de drainer le sentiment “nationaliste” qui tend à revenir sur le devant de la scène dans le Vieux Continent. Ce n'est pas par hasard que Nicolas Sarkozy a insisté durant sa campagne, et même avant lorsqu'il assurait la fonction de ministre de l'Intérieur, sur le poids de la France à l'étranger en termes de “message de civilisation” porté à travers les continents. Les observateurs au fait du dossier algéro-français n'ont pas omis de faire le distinguo entre le discours électoraliste et la réalité de l'exercice du pouvoir une fois que Nicolas Sarkozy prendra ses fonctions officielles à l'Elysée. C'est ainsi que le discours sur la colonisation est perçu à Alger comme “une manœuvre électorale” à même de draguer et de puiser non seulement dans le camp de l'extrême droite, mais aussi au sein des larges couches de la société française. Le Chef du gouvernement Abdelaziz Belkhadem n'avait pas hésité, dans un entretien au journal Le Monde, à accuser Sarkozy de vouloir réhabiliter l'OAS. À Alger, une rencontre qui regroupera historiens et témoins est prévue pour aujourd'hui au Forum d'El Moudjahid afin de débattre de la pratique de la torture exercée durant la colonisation. Qualifié de “pro-juif” et d'“atlantiste”, Sarkozy a effectué avant le début de la campagne électorale un voyage aux USA durant lequel il avait affirmé son soutien à la politique américaine au Proche-Orient et en Irak. Pas de traité d'amitié et pas de repentance Les observateurs, qui reconnaissent à Sarkozy la qualité de “réaliste et de gestionnaire des affaires de l'Etat”, considèrent, cependant, qu'une fois arrivé au pouvoir, il devra prendre en compte les intérêts stratégiques ainsi que les équilibres régionaux. Le poids de l'Algérie dans la rive sud de la Méditerranée est à prendre en considération, et Nicolas Sarkozy a déjà donné le ton lors de sa visite, en octobre 2006, à Alger, en sa qualité de ministre de l'Intérieur, en affirmant œuvrer pour la préservation des intérêts communs et en plaidant pour une refondation des relations bilatérales loin du traité d'amitié qui, lui, a été définitivement enterré en avril 2006 après la visite du MAE français, Philippe Douste-Blazy, à Alger. Lors de son dernier meeting organisé dans la ville de Montpellier, Sarkozy avait annoncé l'amorce d'une politique d'intégration avec la Méditerranée qui engloberait le processus de paix israélo-arabe et la réhabilitation du dialogue euro-méditerranéen. Mais il ne faudrait pas s'attendre à un changement radical du discours sur la colonisation tant que les partisans de la loi du 23 février 2005 sont majoritaires au sein de la classe politique de droite. Visa et pragmatisme économique Le sous-développement et le terrorisme constituent des défis auxquels l'Europe est confrontée. Mais le Vieux Continent a davantage verrouillé, ces dernières années, ses frontières sous prétexte de la lutte contre le terrorisme et de la préservation de sa sécurité. Sur ce point bien précis, Alger veut des gestes beaucoup plus concrets qui vont au-delà des facilitations de la procédure des visas annoncées en octobre dernier par Nicolas Sarkozy. Cette décision a été considérée comme insuffisante par l'Algérie. Cette dernière avait dénoncé les mesures discriminatoires auxquelles étaient soumis les Algériens pendant des années. Et la flexibilité sur les visas devrait être accompagnée par une nouvelle politique plus adaptée sur la libre circulation des biens et des personnes vu les intérêts existant entre les deux pays et le souhait émis par des entreprises françaises, à travers le Medef, d'arracher des parts de marché en Algérie dans le cadre du plan de relance engagé avec une enveloppe de 150 milliards de dollars et face à la concurrence rude des compagnies arabes du Golfe. Sarkozy est allé même jusqu'à proposer une alliance GDF-Sonatrach pour sécuriser l'approvisionnement de la France en gaz algérien. Salim Tamani