Ce pays refuse de remettre à l'Algérie des archives de la période coloniale. Mai 1945-mai 2006. 61 ans d'Histoire qui a commencé par un massacre innommable et s'est poursuivie par une guerre féroce qui a fait des centaines de milliers de morts, avant plusieurs tentatives de «réconciliation» qui ont eu des fortunes diverses. Entre l'Algérie et la France, rien n'est simple et les rapports n'ont jamais été linéaires. Il y a eu plus de bas que de hauts dans cette «tumultueuse» relation que des deux côtés, on qualifie de «passionnelle». Il est vrai que l'Histoire rattrape régulièrement les politiques pour leur rappeler la nécessité du devoir de mémoire. Il devient clair, au vu des récents événements, survenus sur la scène politique, tant en Algérie qu'en France, que le passé pèse véritablement lourd et rien de sérieux ne peut être entrepris sans évoquer les pages sombres de l'histoire commune algéro-française. Pour preuve, le rapprochement «historique» entre Paris et Alger, entamé en 1999, finit par buter, quatre ans après, sur la loi française glorifiant la colonisation. Entre-temps, les présidents Bouteflika et Chirac ont balisé la voie à un «partenariat d'exception». Les visites d'Etat à Paris et Alger, la multiplication des contacts au niveau ministériel, ont permis l'éclosion d'une coopération dans de nombreux domaines, notamment dans la recherche scientifique, l'éducation et la justice, pour ne citer que les domaines où l'expertise française a été «offerte» à des secteurs en pleine réforme. Même si sur le plan économique tout reste à faire, les observateurs notent tout de même un niveau de coopération jamais égalé entre les deux pays. Ce sont là les prémices de ce que devrait comporter le Traité d'amitié algéro-français souhaité autant par Alger que par Paris, pour la simple raison que les deux chefs d'Etat se sont engagés à le mener à bon port. C'est dire donc que le point de non-retour dans la consolidation des relations multiformes a été dépassé, mais demeure néanmoins comparable à ce que l'Algérie entretient avec d'autres nations développées. En d'autres termes, les rapports entre les deux nations n'ont encore rien d'exceptionnel, en tout cas, pas comme le souhaiteraient les officiels français qui affichent une grande détermination à faire des relations algéro-françaises un exemple pour l'histoire. Mais ce sont ces mêmes officiels qui ont donné leur caution à une loi qui glorifiait le fait colonial. Une dérive qui n'a pas tardé à brouiller les lectures faites à Alger quant à une réelle volonté française de signer un véritable traité d'amitié. Divisant profondément la classe politique française, la fameuse loi a surtout jeté un froid dans les relations algéro-françaises. Les critiques du président de la République étaient fondées. Preuve en est, l'abrogation de l'article 4 de ladite loi qui assimilait la colonisation à une «mission civilisatrice de la France en Afrique du nord». Mais le recul de Paris, de même que la déclaration de l'ambassadeur français à Alger sur «l'erreur inexcusable» des massacres du 8 Mai 1945, ne peuvent régler le problème de mémoire auquel est assujettie la société française. Et pour cause, celle-ci, traversée par plusieurs lobbies, est empêchée de voir son histoire en face. Autant la vérité sur les crimes coloniaux est éclatante, les témoignages ne manquant pas, autant des cercles influents activant dans les coulisses du pouvoir imposent une version tronquée de l'histoire de la France. Il est clair que ces lobbies travaillent dans le sens de faire échec à toute tentative de rapprochement entre l'Algérie et la France, en instrumentalisant l'histoire. Il savent pertinemment que l'Algérie n'acceptera jamais un traité d'amitié au rabais. Et ils ont leurs hommes dans les rouages du pouvoir à Paris pour «vider» ledit traité de toute sa substance. En effet, il est des pays comme le Maroc, pour qui, un fort resserrement des liens entre Algériens et Français n'arrangerait rien du tout. Et lorsqu'on sait le poids du lobby marocain dans les sphères décisionnelles françaises, l'on comprend les visées des manoeuvres actuellement en cours pour torpiller la dynamique enclenchée entre Alger et Paris depuis la visite de Bouteflika en France. Côté algérien, la question de la mémoire ne souffre aucune équivoque. C'est à la France de faire un effort sur elle-même et assumer son passé colonial en Algérie. Pour les officiels algériens, c'est là une condition sine qua non pour construire un «partenariat d'exception» qui résiste au temps. Cette position, même si de l'autre côté de la Méditerranée on l'estime un peu trop sévère, ne poursuit pas un objectif d'humiliation de la France, bien au contraire. Société et Etat ont tout intérêt à développer des relations privilégiées avec l'Hexagone, mais pas à n'importe quel prix. En ce 8 mai 2006, il est clair que beaucoup de choses ont été réalisées, mais il reste tout de même l'essentiel. Un véritable travail de mémoire qui peut se traduire par la remise à l'Algérie des archives de la période coloniale. C'est là un pas important que la France, vraisemblablement otage de ses lobbies, ne veut toujours pas faire.