Le choix de l'université du 8-Mai-1945 de Guelma, par Bernard Bajolet, ambassadeur de France à Alger, pour la signature d'un important accord de coopération entre les universités de Guelma, Biskra, Skikda, le centre universitaire d'Oum El-Bouaghi et l'université Marc-Bloch de Strasbourg est loin d'être fortuit. Initialement prévue à Oum El-Bouaghi, la signature de cet important accord prend pied sur la proximité de la date anniversaire des tragiques évènements du 8 Mai 1945, pour finalement élire domicile dans une ville symbole du martyre du peuple algérien et servir ainsi de bon prétexte au diplomate français pour traduire les avancées, dans le discours officiel hexagonal autour de la France coloniale. En effet, le discours prononcé par Bernard Bajolet, hier à l'université du 8-Mai-1945 de Guelma s'il s'inscrit en droite ligne du discours du président Nicolas Sarkozy à Constantine, n'en recèle pas moins un nouveau développement qui a la prétention de réduire pour ainsi dire l'écart entre Français et Algériens dans leur vision du fait colonial. Sans détour, l'ambassadeur de France déclarait que ces journées, de Mai 45 “ont fait insulte aux principes fondateurs de la République française et marqué son histoire d'une tache indélébile”. Et de souligner : “D'ores et déjà, et aussi durs que soient les faits, je peux vous dire, que la France n'entend pas, n'entend plus, les occulter. Le temps de la dénégation est terminé.” “Il faut en finir avec la dénégation des injustices, des fautes et des crimes du passé”, disait l'ambassadeur de France estimant que “le 8 Mai 1945, date historique qui a marqué pour le monde le terme du second conflit mondial et la fin du régime nazi, mais a dans cette ville d'autres résonances qui renvoient à l'un des épisodes les plus dramatiques de l'histoire de l'Algérie coloniale”. Le diplomate justifiera son déplacement à Guelma par le devoir de mémoire. “À l'approche de la date anniversaire du 8 Mai, on ne peut oublier la terrible tragédie qui a ensanglanté votre ville et toute la région, il y a maintenant 63 ans”, dira-t-il. Ceci en reconnaissant la lourde responsabilité des autorités françaises de l'époque dans le déchaînement de la folie meurtrière, qui a fait des milliers de victimes innocentes, presque toutes algériennes, ainsi que des milliers de veuves et d'orphelins. Non sans mentionner toutefois, “les dizaines de civils européens qui ont également été assassinés au cours des affrontements”. Cependant, Bajolet relèvera, en ce sens, la singularité de la situation qui présente le colonialisme, sous un jour sombre, en disant que “le 8 Mai 1945, alors que les Algériens fêtaient dans tout le pays, aux côtés des Européens, la victoire sur le nazisme, à laquelle ils avaient pris une large part, d'épouvantables massacres ont eu lieu à Sétif, Guelma et Kherrata”. Pour mieux signifier que la France ne compte pas, ou plutôt ne compte plus occulter les méfaits du colonialisme, Bernard Bajolet fera référence au président Nicolas Sarkozy quand dans son discours de Constantine, le 5 décembre dernier, il rendait hommage aux “victimes innocentes d'une répression aveugle et brutale”, évoquait “les fautes et les crimes du passé”, qu'il avait qualifiés d'“impardonnables” et dénonçait “l'injustice du système colonial”. L'ambassadeur ajoutera sa touche personnelle au discours de Sarkozy en estimant toute en nuance “condamner le système colonial n'est pas de condamner les Français, qui sont nés en Algérie, ont vécu et travaillé sur cette terre qu'ils ont tant aimée, et à laquelle ils ont été arrachés un jour brutalement. Beaucoup d'entre eux entretenaient des relations fraternelles avec leurs voisins musulmans qui, aujourd'hui, les accueillent chaleureusement lorsqu'ils reviennent au pays”. Se tournant vers l'avenir des relations algéro-françaises, le diplomate soulignera que “la connaissance et la reconnaissance du passé ne doivent pas accaparer seules notre attention, mais elles peuvent nous aider, Français et Algériens, à mieux aborder, ensemble et fraternellement, l'avenir que nos jeunes qui sont en droit d'espérer, eux qui n'ont pas connu les déchirements du passé, mais doivent savoir à quels excès peuvent mener l'aveuglement et l'oubli des valeurs humaines fondamentales”. Pour ce faire, il en appellera au travail des historiens ; estimant “pour que nos relations soient pleinement apaisées, il faut que la mémoire soit partagée et que l'histoire soit écrite à deux, par les historiens français et algériens. La France doit faire sa part de chemin, la plus grande, sans aucun doute, mais elle ne peut pas la faire toute seule. Il faut que les tabous sautent, des deux côtés, et que les vérités révélées fassent place aux faits avérés”. Abondant toujours dans ce sens, il soulignera que “si pour l'essentiel les faits sont aujourd'hui connus, du travail reste à faire, entre autres pour déterminer le nombre exact des victimes et l'enchaînement précis des évènements. Mais cela est du ressort des historiens”. “Historiens mais aussi universitaires auxquels il reconnaît le mérite d'avoir pris un temps d'avance et d'avoir beaucoup progressé dans l'établissement objectif des faits”. Des débats ouverts et contradictoires, auxquels les médias et le cinéma ont contribué, se sont tenus. Ils ont permis aux Français et aux Algériens de connaître et de comprendre certains faits qu'ils ignoraient, soulignait Bajolet. Et de conclure : “Il revient aux générations actuelles d'achever la réconciliation entre ceux qui se sont battus hier pour ouvrir aux plus jeunes un avenir de partage et de prospérité.” Zahir Benmostepha