Selon lui, la liberté et le respect sont des valeurs universelles sans lesquelles toute “approche audacieuse” dans les relations entre les deux pays et “les équilibres régionaux” risque de s'enliser. Comme l'année dernière, à la même occasion, le président de la République déterre les fours à chaux d'Héliopolis, dans une allusion à peine voilée aux fours crématoires nazis. Une façon à lui de considérer que la barbarie avec laquelle l'armée coloniale a réprimé les manifestations du 8 Mai 1945 à Sétif, Guelma et Kherrata n'a rien à envier aux atrocités commises sur les juifs par Hitler pendant la Seconde Guerre mondiale. Sauf que cette fois, il évite, avec soin, de rééditer l'emploi de superlatifs trop rudes, trop polémiques, à l'instar de la “violence génocidaire” ou de “crimes contre l'humanité” dont il a qualifié les massacres, le 8 mai dernier, dans un message d'une rare virulence, lu par le ministre des Moudjahidine au cours d'un séminaire commémoratif tenu à Guelma. “Pendant des semaines, rien ne sera épargné à une population désarmée ; ni les bombardements par l'aviation et la marine de guerre, ni les exécutions sommaires, ni la chasse à l'homme, ni même les fours à chaux d'Héliopolis”, martèle encore aujourd'hui Abdelaziz Bouteflika. Dans son message d'hier, l'appréciation de Bouteflika reste intacte. “Par son ampleur, sa durée et la diversité des opérations combinées de l'armée, de la police et des milices coloniales, ce fut (la répression, ndlr) l'un des plus importants crimes d'Etat de l'époque contemporaine”, qualifie le chef de l'Etat. Décrivant le 8 mai comme une “des dates les plus tragiques de notre histoire”, tantôt de “jour fatidique”, retraçant “une féroce campagne de terreur d'Etat” et “un des plus grands crimes d'Etat de l'époque contemporaine”, il se garde néanmoins de renouveler sa demande d'excuses, de repentance. En 2006, il demandait à l'Hexagone de “se purger de sa face obscure, de sa face colonialiste et pour cela, comme l'ont fait d'autres Etats à travers le monde, présenter ses excuses aux peuples auxquels il a imposé son oppression colonialiste et en particulier au peuple algérien qui l'a subie de manière si longue, si brutale, si multiforme, si génocidaire”. Il y a un an, cette exigence sonnait comme une mise au point aux velléités révisionnistes hexagonales, exprimées plusieurs mois plus tôt (le 23 février 2005) par le vote à l'Assemblée de la loi consacrant les bienfaits de la colonisation française en Afrique du Nord et dans les territoires d'outre-mer. Selon le locataire d'El-Mouradia, ce texte relevait ni plus ni moins d'une “cécité mentale”. Espérant quitter l'Elysée en ayant réussi à “arracher” un traité d'amitié avec Alger, Jacques Chirac est intervenu pour abroger l'article controversé de la loi. Mais de côté de la Méditerranée, cette démarche était perçue comme dérisoire tant que la France ne faisait pas acte de repentance. Or une telle initiative, aujourd'hui, semble exclue, le successeur de Chirac à l'investiture suprême n'y souscrit guère. Pendant sa campagne électorale, Nicolas Sarkozy a rejeté catégoriquement toute idée de repentance. Son clin d'œil récemment aux associations de pieds-noirs, dont des anciens de l'OAS, a provoqué l'ire d'Alger, à travers le Chef du gouvernement et patron du FLN, Abdelaziz Belkhadem. Pour sa part, le chef de l'Etat s'est bien gardé d'y faire une quelconque mention dans son message à l'occasion du 8 mai. Avec la même constance, il rappelle l'ampleur et la gravité des massacres perpétrés avec l'aide des colons et ayant fait “des dizaines de milliers de victimes qu'aucune comptabilité macabre n'arrivera jamais à dénombrer avec exactitude”. Cependant, son réquisitoire est dénué d'accents belliqueux. La page du colonialisme n'est pas déchirée mais elle est tournée. “Bien sûr, nous ne devons pas voir le présent et l'avenir seulement avec les yeux d'un passé traumatisant. En deux générations d'indépendance, notre pays a pansé la plupart de ses blessures et pour l'essentiel, il est sorti de la nuit coloniale”, commente M. Bouteflika. À ce titre, il “invite les Algériens à faire de ce jour anniversaire un moment de réflexion lucide et courageuse sur notre passé proche et sur notre avenir immédiat”. En direction de la France, ses propos sont tout aussi avisés. Conscient que les séquelles de la domination coloniale marqueront à jamais les relations bilatérales, il estime que “cette situation ne pourrait être dépassée que dans un climat de confiance fondé sur des valeurs universelles de liberté et de respect, sans lequel toute approche audacieuse de nos rapports bilatéraux et des équilibres régionaux risque de s'enliser dans de vaines résurgences du passé colonial”. Jusque-là, l'unique “approche audacieuse” ayant inspiré les autorités des deux pays est le traité d'amitié que les présidents Bouteflika et Chirac ont initié en 2002. Toutefois, l'élu des suffrages de la présidentielle français du 6 mai dernier n'entend point assumer ce projet. Selon lui, l'amitié entre l'Algérie et la France n'a pas besoin de traité. SAMIA LOKMANE