Marteau, tenailles, ciseaux, clous, fers à cheval et limes sont là, étalés sur une pièce de bâche, dans un coin du marché hebdomadaire de la commune montagneuse de Chigara, située à environ 1 000 m sur le massif de M'sid Aïcha, au nord-ouest de Mila. Dans le même endroit sont parqués, des années durant, des mulets et des chevaux, retenus par leurs propriétaires, attendant leur tour. Le maréchal-ferrant, Bouzekria Abdelawahab, le seul dans la région à ce que l'on sache, est à l'œuvre. Ferrer les animaux, activité ancestrale devenue une “curiosité” par les temps qui courent, notre artisan l'exerce depuis pratiquement 44 ans, en se déplaçant d'un marché populaire à un autre. Durant notre passage au marché de Chigara, un vendredi de ce mois de mai, nous avons eu l'extrême plaisir de l'approcher dans son travail et d'assister à une opération complète de ferrage d'un baudet. Cela ne concerne bien entendu que les pattes antérieures de l'animal, celles de derrière ne sont jamais ferrées. Armé d'une brosse métallique, le maréchal Ferrand commence par nettoyer soigneusement les sabots de la bête, enlève ensuite, au moyen de tenailles, les vieux fers fixés aux sabots avec de longs clous inoxydables. Et avant de procéder au ferrage proprement dit, il égalise la corne formant les sabots, au moyen d'une lime. Cela fait, l'artisan se saisit de nouveaux fers en métal forgé et en “chausse” l'animal. Les fers sont fixés avec des clous très effilés, dont la tête est taillée en forme de diamant. Parfois, quand le fer ne s'ajuste pas convenablement aux sabots de la bête à ferrer, l'artisan le retravaille sur place, avec son lourd marteau, en utilisant une grosse pierre en guise d'enclume. Et avant de libérer l'animal, notre homme n'omet pas de corriger les défauts et les déformations qu'il constate, en coupant avec soin les parties des ongles qui font sailli et qui pourraient gêner l'animal dans sa marche. Cet artisan de 50 ans est, pour les campagnards de la région de Chigara, ce qu'est le vulcanisateur pour les automobilistes en ville. Car dans cette contrée montagneuse, les ânes, les mulets et les chevaux sont encore très utilisés comme moyens de transport et comme bêtes de somme. Kamel Bouabdellah