Située sur le massif montagneux de Sidi Mahrez, à environ 1 000 mètres d'altitude, cette commune caractérisée par ses reliefs difficiles, n'est plus aujourd'hui ce qu'elle était avant 2002. Sa physionomie a beaucoup changé depuis. De nombreuses familles l'ont quittée pour aller trouver refuge ailleurs. Et les communes de Mila, Grarem et Sidi Mérouane sont les destinations privilégiées des ménages qui optent pour l'exode. Ce qui est derrière le départ forcé des citoyens de Chigara n'est autre que l'isolement dans lequel cette localité a sombré en 2002, quand le viaduc qui la reliait à Sidi Mérouane, chef-lieu de daïra, a été submergé par les eaux du barrage de Beni Haroun. En effet, depuis septembre de cette année-là, la population locale dont le nombre frise actuellement les 17 000 âmes, coule ses jours comme coupée du monde. Car même la route de désenclavement aménagée par l'Agence nationale des barrages (ANB) dans les reliefs à l'est de la localité, n'a pas apporté les résultats escomptés et reste loin de remplir sa fonction de voie de communication. À peine digne du nom de “route”, cet ouvrage, long d'environ 14 kilomètres, est un fiasco dans toutes les acceptions du terme. Escarpée, abrupte et continuellement sujette à des affaissements de terrain, cette route est devenue un véritable cauchemar pour ses usagers, qui la qualifient d'ailleurs de “route-de-la mort”. Effectivement, il suffit de jeter un coup d'œil par la vitre de l'un de ces fourgons qui, à l'allure des diligence, assurent cette desserte, pour s'apercevoir du danger qu'on court quotidiennement : on circule à plusieurs centaines de mètres au-dessus du lac du barrage de Beni Haroun ! Il va sans dire que la moindre mauvaise manœuvre de la part d'un conducteur pourrait se terminer en drame. Une véritable calvaire que celui vécu par la population de Chigara, qui est à féliciter pour son héroïsme durant la triste décennie noire. La commune que l'historien Yahia Bouâziz a qualifiée de “combattante”, dans un autre contexte, se meurt aujourd'hui dans son isolement et dans l'indifférence ingrate. Effet boomerang, car ce n'est pas de la sorte qu'on récompense ceux qui ont toujours répondu présents à l'appel de la nation. Pour l'heure, tous les espoirs sont placés dans la lancinante rumeur selon laquelle un viaduc sera prochainement édifié en contrebas de la localité, au lieudit Tabbal, sur les berges de l'oued Enndja, entre Chigara et Sidi Mérouane dont cette commune montagneuse relève administrativement depuis 1886. Le pont, une vérité ou un simple canular ? Pour vérifier la véracité des propos qui circulent au sujet du prétendu pont, nous nous sommes rapprochés d'un cadre des services des travaux publics, lequel nous a assuré qu'il ne s'agit nullement d'une blague mais bel et bien d'une réalité. Cela ne peut, évidement, que faire la joie de la population concernée et par-delà, celle des habitants des communes de Sidi Méroune et Baïnan, qui ont, de tout temps, constitué avec Chigara une seule entité humaine. Pour en revenir à la question du viaduc, ouvrage en gestation désormais, notre source nous a confié que l'étude technique de cette liaison a déjà été réalisée par un bureau d'études algéro-allemand domicilié à Alger, pour une enveloppe financière de 700 millions. Pour ce qui est de la réalisation, on nous a révélé que les services des travaux publics font tout leur possible pour que les travaux soient lancés avant la fin de l'année en cours. Aussi, les responsables locaux à tous les niveaux, sont-ils appelés à appuyer ce dossier qui atterrira très bientôt, insiste-t-on, sur le bureau du ministre en charge du secteur. Et ce, pour permettre un réel désenclavement de cette région, qui est en passe de se vider de ses occupants. D'ailleurs la sortie de Chigara de l'isolement où l'a placée le barrage est une condition sine qua non pour le lancement, dans la région, de tout processus de développement. Car, logiquement parlant, on ne peut concevoir des actions de proximité ou autres, dans les dures conditions qui sont celles de cette commune actuellement. Des potentialités en friche Chigara recèle des potentialités respectables qui pourraient constituer de véritables créneaux de développement. L'allusion est faite ici à l'agriculture, à 'arboriculture, à l'élevage et au patrimoine non négligeable de la commune en plantations de figuiers de barbarie lesquels, exploités de façon moderne et réfléchie, pourraient participer largement à la résorption du chômage et, pourquoi pas, favoriser le retour des familles qui ont élu domicile ailleurs ces trois dernières années. Un passé glorieux Chigara, quoi qu'on en dise, est une région plusieurs fois séculaire. Ses habitants viennent en ligne directe de la tribu de Zouagha, qui peuple cette montagne depuis l'an 1 500, selon des historiens. Originaire du sud de la Tunisie qu'elle quitta suite à un différend avec le monarque de ce pays à cette époque-là, Zouagha s'installa en 1 500 sur les montagnes du nord-ouest de Mila, après un bref passage dans la région de Sétif. Connus pour leur caractère d'insoumission, ses hommes s'opposèrent très tôt à l'occupation française. Chigara se rebella, en effet, dès les premières années de la colonisation. En 1848, avant donc le soulèvement des Zaâtcha que dirigea Cheikh Bouziane (1849), Zouagha était en guerre contre les Français. Et en 1853, le général Saint-Arnaud y dirigea une campagne de pacification, tellement la révolte était grande. Mais malgré cette expédition, les soulèvements n'allaient pas cesser, ce qui poussa l'autorité coloniale à intensifier ses opérations militaires dans cette région afin de la domestiquer, ce qui aboutira, en 1860, au démembrement de la famille Benazzeddine, dont le fils Bouranane, farouche opposant à la présence française, fut exilé. Toutefois, quatre ans plus tard, c'est-à-dire en 1864, les habitants de Zouagha reprendront les armes, développant une autre forme de résistance, la guérilla en l'occurrence, en s'attaquant aux convois de l'ennemi et aux Algériens qui étaient en intelligence avec lui et en assiégeant les fermes où vivaient des colons. Cette révolution dura jusqu'en 1865, date à laquelle les Français découpèrent la région en plusieurs petits secteurs en plaçant un officier militaire à la tête de chacun d'eux. Mais malgré toutes ces contraintes, les soulèvements populaires se poursuivirent, certes de façon sporadique à partir de 1865, mais ils se poursuivirent quand même jusqu'à la guerre de Libération nationale où Chigara s'engage dès la première heure et devient rapidement l'un des bastions de la glorieuse révolution de Novembre, dans le Nord constantinois… Force est de dire donc que cette localité, Zouagha jadis, Chigara aujourd'hui, qui a gravé son nom en lettres de noblesse dans l'histoire nationale et que Yahia Bouaâziz a qualifiée de “combattante”, ne mérite aucunement son sort d'aujourd'hui. Kamel Bouabdellah