Omar Derras est enseignant à la faculté des sciences sociales à l'université d'Oran et chercheur associé au Centre national de recherche en anthropologie sociale et culturelle d'Oran (CRASC). Liberté : Dans l'enquête nationale que vous avez réalisée, vous parlez de “phénomène associatif” en Algérie et non pas de mouvement associatif. Où se situe la différence ? Omar Derras : Lorsqu'on utilise le concept de mouvement associatif, c'est l'expression d'une forte mobilisation consciente et organisée de groupes sociaux, pour des revendications précises envers l'Etat, en vue de transformations et d'influences sociales. À ce titre, le mouvement associatif devient un partenaire incontournable des pouvoirs publics pour régler les problèmes de la société et améliorer les conditions de vie de la population. Ce n'est pas encore le cas. Vous estimez pourtant que le mouvement associatif algérien a existé pendant une courte durée. Sur quels éléments vous basez-vous ? L'Algérie a en fait connu un vrai mouvement associatif durant la colonisation, qui était une source d'approvisionnement d'élites politiques, culturelles et militaires, pour le mouvement de libération nationale, et durant la période post-indépendante. À la faveur des événements d'octobre 1988 et de la nouvelle Constitution qui a instauré le multipartisme, le syndicalisme indépendant et la loi “libérale du 4 décembre 1990” sur les conditions de création et de fonctionnement des associations, toutes ces réformes politiques et institutionnelles ont permis un développement et un foisonnement sans précédent de nouvelles associations modernes, qui ont investi des domaines d'intérêts aussi multiples que les groupes qu'elles mobilisent. Mais de façon éphémère, puisque cette vitalité associative était de courte durée, de 1990/1991, suivie d'un refroidissement associatif lié à une période de violence et de terrorisme. À partir de l'année 2000, une reprise progressive est perceptible. Vous avez déclaré dernièrement que l'engagement associatif et même le bénévolat reposent sur des convictions idéologiques. Pourriez-vous expliciter ? J'ai remarqué effectivement que très souvent les associations qui sont portées par un substrat idéologique, politique ou religieux sont des associations qui connaissent une participation et une vitalité associatives constantes et très élevées. C'est le cas, par exemple, des associations de revendication des droits. Comment se fait-il que les couches moyennes, qui ont vu leur pouvoir d'achat se dégrader ces dernières années, s'engagent volontiers dans le mouvement associatif ? L'espace associatif est producteur d'élites politiques et sociales. Il est aussi un créneau et une instance génératrice de promotion et de mobilité sociales ascendantes. Après 1990, une partie des couches moyennes, fraîchement constituées, ont été les premières à avoir ressenti et subi les changements brutaux et une dégradation de leurs conditions de vie. Leur engagement dans l'espace associatif est un moyen de reclassement, de repositionnement statutaire. Il ressort de l'examen de votre enquête que le mouvement associatif reste à construire en Algérie. Comment y parvenir ? Les défis qui se posent aux sociétés émergentes comme l'Algérie résident incontestablement dans la construction et la consolidation d'une société démocratique et un Etat de droit. Dans ce cadre-là, des démarches et des actions doivent être mises en œuvre, relevant de la responsabilité de l'Etat et des dirigeants des associations. J'en parle justement dans les résultats de mon enquête, dans la partie réservée aux 10 recommandations pour améliorer, réactiver et dynamiser le tissu associatif en Algérie. Si l'Algérie a opté pour le libéralisme économique, il reste que les changements endogènes du régime politique algérien demandent beaucoup de temps. Je veux parler des changements, surtout au niveau de l'acceptation des instances de sociabilité concurrentes et de la réduction de son autoritarisme. Avec une volonté politique réelle de l'Etat, le développement de l'espace associatif peut trouver sa place. À ce stade, le tissu associatif va devenir un rempart à l'arbitraire et à l'autoritarisme, et faire émerger un segment important de la société civile, non pas pour s'inscrire dans une stratégie de confrontation, mais de médiation et de partenariat indispensables. L'espace associatif deviendra ainsi une force de proposition impliquée dans la bataille du développement, aux côtés des pouvoirs publics. Propos recueillis par H. A.