La sociologie de la mobilité sociale a enthousiasmé et continue de passionner beaucoup de chercheurs dans les pays industrialisés. Mais cette passion ne semble pas trop gagner les chercheurs des pays en développement, l'Algérie comprise. La problématique de la mobilité sociale, si nécessaire pour un pays en pleine transition comme le nôtre, est malheureusement sous-analysée. Pourtant, elle s'intéresse au facteur humain et au monde du salariat, à l'évolution de l'emploi, particulièrement au changement des carrières et des positions sur l'échelle sociale, pour nous aider à mieux comprendre les transformations et les mutations subies par les différentes générations. Pour la première fois, Omar Derras, un enseignant en sociologie à l'université d'Oran et chercheur associé au Centre national de recherche en anthropologie sociale et culturelle (Crasc), a franchi le pas en réalisant un travail de recherche sur la mobilité professionnelle et sociale en Algérie. Par mobilité sociale, il faut comprendre en général le passage d'individus, d'un groupe ou d'une classe sociale, d'une position ou statut social à un (e) autre, par opposition à la mobilité professionnelle qui n'est qu'un aspect de la mobilité sociale et qui renvoie à l'évolution de la carrière et des métiers. Dans sa thèse de doctorat de 355 pages qu'il a soutenue en août 2007, M. Derras porte un intérêt particulier aux “différenciations et (aux) inégalités sociales” dans la société algérienne. L'étude en question, un travail qui a nécessité seize ans d'investigation et qui a débuté en 1990, part de la période coloniale pour arriver en 2006. L'objectif était, selon son auteur, de “saisir, analyser, comprendre les multiples transformations et les mutations d'ordre économique, social, politique et culturel” qu'avait connues et connaît la société algérienne depuis voilà plus de trois décennies et demie. Dans cette contribution, le chercheur tente de décrypter et de comprendre “les enjeux et les mécanismes générateurs de mobilité sociale”, dans une société jeune et émergente. Il essaie également de nous éclairer sur “le pourquoi et le comment des changements structuraux” ayant traversé la société, notamment au niveau de la constitution des couches et groupes sociaux, de leurs transformations, de leurs modes et logiques de distribution dans l'espace social, de leurs identités politiques, culturelles et idéologiques. Concrètement, l'étude du chercheur en sociologie repose sur cinq grandes enquêtes empiriques. La première s'intéresse à la mobilité professionnelle et sociale au complexe pétrochimique de GL1Z de l'entreprise Sonatrach, implanté dans la zone industrielle d'Arzew. Elle a été réalisée en 1990 et 1998 sur un échantillon de 217 salariés permanents (10% de l'effectif total), âgés de plus de 40 ans et répondant aux trois grandes catégories socioprofessionnelles (CSP) : cadres, agents de maîtrise et agents exécutants. Le choix de Sonatrach est justifié par le fait que cette entreprise a connu différents systèmes salariaux et différents modes de classification des CSP et de cotation des postes de travail (grille de la convention d'entreprise de 1970, grille SGT et grille de la convention collective de 1992, etc.). La seconde enquête a été effectuée en 2000, dans la wilaya d'Oran, sur un échantillon de 280 personnes, où 18 CSP sont représentées. L'objet central de l'investigation est la mobilité professionnelle et la cotation des professions ainsi que l'étude des conditions de vie des personnes interviewées dans et hors travail. La troisième étude sociologique, réalisée en 2004 dans la wilaya d'Oran, concerne un échantillon de 307 femmes actives de différentes CSP et porte sur la mobilité professionnelle et sociale de la femme active. La quatrième enquête a été initiée l'année suivante, soit en 2005, ciblant un échantillon de 300 étudiants (150 étudiants et 150 étudiantes). L'approche des étudiants en fin de cursus des universités d'Oran, toutes filières confondues, a servi, d'après M. Derras, à comprendre “la logique du fonctionnement du système éducatif” et à saisir les “inégalités” et les “chances scolaires” au sein de l'université. Enfin, la dernière enquête, relative à la mobilité sociale et professionnelle dans la wilaya d'Oran, a été faite en 2005 sur une population de 277 personnes où 18 professions sont représentées. Cette étude a pour but d'examiner l'évolution de la mobilité et de procéder à des comparaisons avec la situation de 1992. Soulignons que le sociologue Omar Derras a d'autres travaux de recherche à son actif. On citera notamment l'enquête (thèse de magistère) qu'il a réalisée en 1984, à la Sonatrach de la zone industrielle pétrochimique d'Arzew, traitant de “l'instabilité de la main-d'œuvre”, ainsi que l'enquête nationale sur le “phénomène associatif en Algérie”, achevée l'an dernier et publiée en 2007 par la fondation allemande Friedrich-Ebert. Actuellement, M. Derras travaille sur une étude sur le mouvement associatif au Maroc, à “des fins comparatives avec le cas de l'Algérie”. H. A.