De par le monde, le temps est considéré comme étant une matière inestimable intégrée dans l'ensemble des données d'une action dont l'objectif vise la rentabilité, le gain et la réussite. D'où l'expression universellement connue qui annonce que le temps, c'est de l'argent. Même si dans ce cas précis la synonymie est plutôt suggestive et allégorique, le temps n'est pas moins aussi valeureux que la monnaie. Paradoxalement, chez nous cette donnée, si précieuse, est considérée comme substance négligeable, aléatoire lorsqu'elle n'est pas tout simplement ignorée. Le temps semble échapper à la logique qui le place en haut des exigences de tout couronnement. Un adage populaire paraît tourner le dos à cette exigence de rentabilité. On dit, à quelque nuance rapprochée, que “tout retard est porteur de bienfait” (koul âatla fiha khir). Cette réaction est en fait l'expression d'un besoin de compensation et de raccommodage toutes les fois qu'un ratage survient. C'est ce qu'on appelle se cacher derrière son doigt. En effet, et parce qu'il est difficile d'accepter un échec, un revers ou un désaveu, on se met à faire dans le dédommagement par le truchement de l'esquive qui consiste à citer la maxime. Il suffit alors de la prononcer pour se mettre à croire que le tour est joué, pour soi et pour les autres. Elle devient un rempart face à toute tentative de l'utile protestation. La complicité collective, volontaire ou tout simplement naïve ou même résignée, admet et autorise alors les insuccès. Elle les transforme en faits banals, en une forme de tolérance et d'indulgence à tout-va et ainsi va la vie dans bien de nos secteurs névralgiques. Nous ne considérons pas le temps comme une notion expresse et indispensable dans la conception de l'ordre économique. Le temps n'a plus sa place parmi les données qui fixent et déterminent les objectifs. Du temps, on en a à revendre. C'est un peu comme notre trop-plein de pétrole. Mais lorsqu'un enfant baigne dans une telle ambiance sociale où la déliquescence, la négligence et le hasard s'installent avec tous les “à-peu-près” et les “au petit bonheur la chance”, il ne faut pas s'étonner de constater que l'héritage “culturel” peut être porteur de facteurs bloquants. C'est dire qu'il y a des traditions, même de niveau proverbial, dont on gagnerait de se départir car contraignantes, caduques et dépassées. A. A.