À travers les propos de M. Bajolet, c'est en fait les prémices d'une nouvelle alliance qui se dessine entre Alger et Paris. Il ne s'agira pas évidemment de grands chamboulements, mais d'aménagements assez significatifs pour impulser une nouvelle dynamique. Au cours d'une rencontre-débat informelle entre M. Bajolet, ambassadeur de France à Alger et les directeurs de publication de la presse nationale ou leurs représentants, de nombreuses questions ont été abordées. Elles portent sur les relations bilatérales, l'ensemble maghrébin, le Proche-Orient et aussi le gaz naturel et le nucléaire civil. Aux interrogations des journalistes, l'ambassadeur n'a pas usé de la “langue de bois”, répondant avec franchise, autant que le permet sa fonction. D'emblée, il expliquera que les relations franco-algériennes vont connaître avec le président Sarkozy quelques changements. Il ne s'agira certes pas de chamboulements, mais bien d'aménagements conséquents pour développer la coopération dans tous les domaines. Pour ce faire, d'autres facilités de circulation de personnes et de biens entre les deux pays vont voir bientôt le jour. Le président Bouteflika, comme tout le monde le sait, est très sensible à cette question qui est également une préoccupation du président Sarkozy, lequel à son tour, avait déclaré en substance qu'en tournant le dos à la Méditerranée, c'est à notre avenir que nous le faisons. Dans cette perspective, le nombre de visas, leur validité ainsi que les catégories de bénéficiaires vont être élargis. Les dossiers encore traités à Nantes vont à leur tour revenir aux consulats d'Alger, de Annaba ou d'Oran, lequel ouvrira ses portes le 2 septembre prochain. À ce propos, l'ambassadeur annoncera qu'un nombre de 34 000 visas de circulation a été délivré en 2006. L'ambassadeur de France ne manquera pas de relever à ce sujet que la réciprocité n'est pas de mise et que les Français désirant se rendre en Algérie ne bénéficient pas du même traitement. Il citera également le cas des journalistes de l'Hexagone qui ne bénéficient pas d'autant de visas d'entrée en Algérie que leurs confrères algériens à destination de la France. Selon M. Bajolet, les étudiants boursiers doivent retourner chez eux pour contribuer au développement de leur pays. Et c'est pour les pousser à y retourner qu'il a supprimé certaines bourses octroyées par l'Etat français, notamment celles de longue durée s'échelonnant pour certaines jusqu'à 60 mois. Ne sont gardées que les bourses se limitant à 18/24 mois. Si l'intention est louable, il ne faut pas perdre de vue que certaines études nécessitent cependant des périodes plus longues. Quant aux travaux de recherche, c'est une autre paire de manches. En tout cas, les bourses et leur corollaire les études supérieures revêtent une importance dont l'ambassadeur lui-même a relevé le caractère stratégique. La question des clandestins, dont le nombre serait d'environ 350 000, est un problème sur lequel planche M. Brice Hortefeux, ministre français de l'Immigration, de l'Intégration, de l'Identité nationale et du Développement, selon l'ambassadeur. Pour lui, la reconduite en masse aux frontières n'est pas envisagée. Il faut rappeler que l'octroi de prime de départ n'a pas suscité d'engouement chez les concernés. En fait, la politique à l'égard de ce dossier ultrasensible n'est pas définitivement arrêtée, même si le président français avait affiché des options radicales pendant sa campagne électorale pour endiguer l'immigration clandestine et rapatrier les sans-papiers. L'ambassadeur a préféré ne pas s'avancer sur ce dossier qui n'est pas encore mature. Par ailleurs, le représentant de l'Etat français est revenu sur la question de la mémoire et les points qui polarisent l'attention des deux côtés de la Méditerranée. Le devoir de mémoire doit se réaliser, selon lui, en dehors de toute polémique. Il faut rappeler que la repentance telle que souhaitée par les Algériens a été refusée par la France, la jugeant inacceptable. M. Bajolet a laissé entendre que la création d'un comité d'experts et la coopération entre les musées à titre d'exemple, peuvent dépassionner le débat et rapprocher les points de vue des deux côtés de la Méditerranée. Au plan économique, même si les relations sont déjà bonnes, les industriels français commencent néanmoins à se faire distancer par une concurrence, en particulier par les produits en provenance du Sud-Est asiatique et de la Chine. Dans ce créneau, la France est donc en perte de vitesse. D'où pour les industriels français la nécessité de se défaire de leur frilosité. Quant à la question du nucléaire civil, la coopération est déjà en cours. Une délégation d'experts français est en route pour Alger. Son arrivée est attendue pour la deuxième quinzaine de juin. Il est vrai que le président Sarkozy a clairement donné son accord. Le Proche-Orient n'était pas absent du débat. M. Bajolet a fait état de la visite de Bernard Kouchner au Liban pour contribuer à la recherche d'une solution à la crise libanaise. Ce qui amènera sur le tapis de la discussion la problématique du “droit d'ingérence”. Le refus de l'admission de la Turquie dans l'Union européenne a surgi comme une évidence, tant le sujet est d'actualité avec l'Union méditerranéenne, une entité que le président français voudrait voir naître. N'ayant pour le moment que l'idée et quelques bribes d'informations, il était difficile d'être constructif et d'avancer quoi que ce soit sur son rôle, son espace politique et économique ; d'autant plus que des ensembles régionaux existent déjà. Mais enfin le monde est en pleine évolution et il ne faut jurer de rien. Ali Ouafek