Cela fait maintenant trois ans que les comités de village ne cessent d'interpeller le chef de daïra et le wali pour arrêter le massacre de la forêt qui couvre les hameaux constituant M'kira. M'kira est l'une des communes les plus pauvres de la wilaya de Tizi Ouzou. La seule ressource dont elle dispose est cette carrière de tuf située dans un massif boisé. Son exploitation à outrance piétine sur l'environnement, à telle enseigne que des voix se sont à maintes fois élevées pour dénoncer ce massacre. Cette carrière est située à quelque deux kilomètres du chef-lieu sur la route menant vers Timezrit, relevant de la wilaya de Boumerdès. Depuis que l'autorisation a été signée au profit d'une entreprise, il ne reste de cette forêt qu'une petite colline surplombant les villages et hameaux de ce versant du douar d'Imkiren. L'exploitation de ce gisement, dont les actionnaires tirent énormément de bénéfices, procède au massacre continu aussi bien de la faune que de la flore. Les habitants de Thamda Oughamras n'ont cessé d'exprimer leur colère et leur inquiétude, en vain. Le côté est est entièrement rasé alors que la flanc ouest ne garde qu'une petite superficie recouverte encore de quelques touffes qui ne tarderont pas à disparaître. “Qui arrêtera ce massacre ?” s'interroge un signataire d'une pétition envoyée au chef de la daïra de Tizi Gheniff ainsi qu'au wali de Tizi Ouzou. Effectivement, depuis maintenant près de trois ans, rien n'a été réglé, bien que la population ait organisé un sit-in devant cet endroit. Un habitué de cette forêt décimée nous dit : “On ne voit plus ni le lentisque, ni le châtaignier, encore moins l'églantier dans les parages. Quant aux oiseaux qui y gazouillaient, ils ont quitté les lieux depuis que les machines avaient commencé à ronronner. Où sont les grives, les merles, les geais, les rouges-gorges, les perdrix, fauvettes, sittelles, moineaux… ? Même les animaux qu'on dit sauvages, tels le sanglier ou le chacal, n'ont pas résisté à cette action néfaste.” Arrivant jusque sur les lieux, notre accompagnateur, en l'occurrence Amar Hellal, président de l'association pour l'insertion et l'emploi par le développement (Aider) nous montre au contrebas de ce gisement des centaines d'oliviers en souffrance en raison de la poussière. “C'est le laxisme total. Ces arbres considérés comme la seule richesse de ces pauvres gens ne produisent plus rien. Qui a donné ordre de massacrer ce lieu ?” s'interroge-t-il. “Ces gens-là sont des terroristes de la nature”, enchaîne-t-il, avant de donner la proposition qui lui tient beaucoup à cœur : “Au lieu de ruiner ce lieu, il est du devoir des responsables de cette commune de faire un geste salvateur. Ils doivent réfléchir au moyen de réaliser une forêt récréative à laquelle seront annexées des aires de jeux pour les enfants, et juste à côté une retenue collinaire. C'est une manière de créer un espace vert d'un côté, et une activité touristique de l'autre”, conclut M. Hellal. Avant de regagner Tighilt Bougueni, chef-lieu de la municipalité de M'kira, nous avons assisté à des va-et-vient incessants de camions chargés de cette matière utilisée dans la fabrication de nombreux matériaux de construction. Pourtant, nous signale un jeune chômeur, même les travailleurs employés dans cette carrière ne sont pas de la région. Au chef-lieu, en raison de l'inexistence d'activité économique, des dizaines de jeunes étaient adossés aux murs en simulant qu'ils sont à bord d'un bateau qui les transportait vers les pays de leurs rêves pour fuir ce coin reculé d'Algérie. “Contrairement aux autres communes, la nôtre ne nous donne rien. Même les emplois octroyés dans le cadre du filet social sont réservés”, nous dit un jeune qui nous semblait désespéré en dépit du diplôme d'ingénieur qu'il traîne dans sa poche. À M'kira, les jeunes que nous avons approchés avaient le même leitmotiv sur les lèvres : “Partir !” L'un d'eux ironise : “Harraga même vers Ouagadougou.” Cela illustre bel et bien la situation dramatique des jeunes M'kiris. O. GHILÈS