Téhéran cherche des alliés à l'image de l'Algérie en vue de maintenir un canal de discussion avec la communauté internationale dans la gestion de la crise nucléaire. Dans sa relation avec l'Algérie, l'Iran entend privilégier le développement de la coopération économique et commerciale. C'est ainsi que la visite, à partir de demain, du président Ahmadinejad s'articulera autour de trois axes principaux : l'ouverture d'une banque iranienne, la signature d'un accord aérien qui accélérera l'ouverture d'une ligne aérienne entre Alger et Téhéran et la construction automobile et de logements. Dans l'histoire des relations tumultueuses entre Alger et Téhéran, l'annulation de l'escale prévue en janvier dernier par le président Ahmadinejad à Alger a sonné comme une sorte d'avertissement dans le processus de normalisation dans les relations bilatérales. Un processus entamé en octobre 2003 par la visite d'Etat effectuée par le président Bouteflika en Iran. Ce déplacement officiel avait symbolisé la volonté des deux pays de se réconcilier et de dépasser les clivages nés après la rupture des relations diplomatiques entre l'Algérie et le régime iranien au début des années 1990, en raison du soutien massif des mollahs aux terroristes algériens. Une année plus tard, soit en octobre 2004, Mohammad Khatami se rend à Alger et a d'abord qualifié la visite du président Bouteflika dans son pays de “tournant dans les relations historiques et fraternelles entre les peuples algérien et iranien”, et plaidera par la même occasion pour “la nécessité de multiplier les efforts en vue de cerner les compétences et les domaines de coopération, de permettre l'élargissement et l'approfondissement des liens et de mettre en œuvre l'ensemble des conventions conclues à travers une planification pertinente et un suivi rigoureux”. Le président Bouteflika, qui insista de son côté sur le fait que les deux pays aient pu tourner une page sombre de leur histoire faite d'incompréhensions et de malentendus, émettra le souhait qu'Alger et Téhéran puissent développer des relations au-delà de la simple relation commerciale. La crise nucléaire et l'annulation de l'escale d'Alger Depuis, les échanges se sont intensifiés à tous les niveaux : culturel, commercial et politique. M. Manouchehr Mottaki, ministre iranien des Affaires étrangères, avait visité l'Algérie en août 2006, et récemment encore en juin 2007 ainsi que Ali Larijani, secrétaire général du Conseil suprême de la sécurité nationale de l'Iran et responsable du dossier nucléaire qui s'y est rendu en juin 2006. Et l'Iran avait même organisé le premier Salon commercial de l'industrie iranienne en Algérie au mois de mai 2006. Cette embellie a duré jusqu'à la nouvelle crise, celle du nucléaire du fait de la décision iranienne de procéder à l'enrichissement de son uranium. Alger défendra alors le droit de Téhéran à disposer de la technologie nucléaire civile dans le cadre des positions officielles d'Alger sur le droit des pays en développement d'avoir accès à la technologie atomique à des fins pacifiques. Cette position conforte l'Iran, mais aussi Washington qui voit en l'Algérie “un allié œuvrant pour la paix et les solutions négociées”. Mais le radicalisme iranien dans le dossier nucléaire a créé un contexte régional et international que d'aucuns qualifient de “menaçant”. La tournée au Proche-Orient du secrétaire d'Etat américain à la Défense, Robert Gates, s'inscrit dans la stratégie de la Maison-Blanche visant à limiter l'influence des mollahs dans la région et à faire pression sur Téhéran afin qu'il renonce au développement de son programme nucléaire. Si le recours à la force est quasiment exclu, et les Iraniens le savent parfaitement du fait de l'existence, aujourd'hui, de plusieurs paramètres géostratégiques qui leur sont favorables, il n'en reste pas moins que cette politique adoptée par Téhéran, qui consiste à souffler le chaud et le froid, ne peut lui être indéfiniment avantageuse. D'ailleurs, Ahmadinejad sait que l'annulation par Alger de son escale, qui devait avoir lieu au retour de sa tournée en Amérique latine, est un signe qui ne trompe pas. Autrement dit, l'Algérie ne pourrait s'accommoder d'un partenaire gênant au moment où elle a repris langue avec la communauté internationale après des années d'embargo et de lutte infernale contre le terrorisme islamiste où les mollahs avaient une part de responsabilité.C'est ainsi que le président iranien avait adressé, au lendemain de l'annulation de l'escale algéroise, un message au président Bouteflika dans lequel il exprimait le souhait de rencontrer celui-ci en février dernier à Alger dans le cadre d'une visite officielle. L'agence iranienne de presse, qui avait rapporté cette information, avait précisé qu'Ahmadinejad avait déploré l'annulation de son déplacement en Algérie le 16 janvier dernier. Depuis, les canaux diplomatiques ont permis d'arranger les choses. Et la visite à Alger, en juin dernier, du ministre iranien des Affaires étrangères, Manouchehr Mottaki, a aplani le différend et permis de fixer la date de la visite officielle du président Ahmadinejad en Algérie. Le chef de la diplomatie iranienne a également participé à l'ouverture du bureau de représentation de la compagnie automobile Iran Khodro, et au début des opérations de construction du nouveau siège de l'ambassade iranienne à Alger. Les Iraniens, qui “ne voudraient surtout pas perdre le canal algérien dans la gestion de la crise nucléaire”, privilégient le “modèle chinois” dans ses relations bilatérales avec Alger. Autrement dit, leur démarche consiste en une ouverture économique laissant de côté les divergences d'approche sur les questions politiques. Le marché algérien et la méthode “chinoise” des Iraniens Le marché algérien intéresse les industriels iraniens qui y voient une opportunité de faire la promotion de leurs produits. Si les relations bilatérales viennent de se renforcer à la faveur de la signature du protocole d'accord d'une chaîne de montage de minibus opérationnelle pour 2008 entre les P-DG de Iran Khodro Industrial Groupe (IKCO), principal distributeur de véhicules, et la société algérienne de fabrication et de montage de véhicule algérien (Famoval), la visite d'Ahmadinejad permettra de les consolider à travers trois actions majeures. Ouverture d'une banque iranienne, signature d'un accord aérien entre Alger et Téhéran et construction automobile et de logements. Si pour l'heure le niveau des échanges bilatéraux avoisine les 7 millions de dollars, ce qui est en deçà des attentes, il faudrait s'attendre à son accroissement à la faveur de la mise en œuvre des accords qui seront paraphés entre les deux parties. La coopération avec l'AIEA, une nécessité, voire une condition Sur le plan politique, les choses risquent de connaître, cependant, un statu quo du moins à court terme. Des sources proches du dossier insistent sur la nécessité pour les Iraniens de s'insérer dans la communauté internationale dont elle est marginalisée depuis 1979. Conscient de la chose, les Iraniens n'ont cessé, ces dernières années, de se rapprocher non seulement de l'Algérie, mais également de la Russie et de la Chine. C'est une condition qui serait posée par Alger et qui semble avoir eu l'écho de Téhéran. Les Iraniens savent que sur le plan stratégique, des alliés à l'image de l'Algérie sont importants en vue de défendre le droit des pays en développement à acquérir une technologie nucléaire à usage pacifique. Sur cet aspect, si l'Iran s'est déclaré prêt à partager avec l'Algérie son expérience acquise dans les différents domaines, notamment dans le domaine de l'énergie et des technologies nucléaires civiles, il n'en reste pas moins que les accusations qui pèsent sur les Iraniens concernant l'enrichissement de l'uranium compliquent, voire mettent en péril une coopération dans le secteur de l'énergie. Le président Bouteflika reconnaît à l'Iran le droit de mener un programme de recherches nucléaires civiles et pacifiques sans pour autant faire en sorte que les inquiétudes relatives à la production d'armes nucléaires s'avèrent fondées et qu'il était, par conséquent, nécessaire, voire urgent d'instaurer un dialogue basé sur l'échange d'informations transparentes avec l'Agence internationale à l'énergie atomique (AIEA). En prenant la défense du programme nucléaire civile iranien, Bouteflika avait affirmé, le 14 mars dernier, dans un entretien au journal espagnol El Pais qu'il n'existait aucune raison pour s'opposer à ce dernier et qu'il n'avait également aucune preuve concernant les intentions nucléaires de Téhéran. À partir de là, il est tout à fait clair que si l'Algérie défend le principe de l'utilisation par les pays en développement de l'énergie nucléaire à des fins pacifiques, il n'en demeure pas moins que l'Iran est appelé à faire preuve de plus de souplesse. Salim Tamani