Cette correspondance, si elle vise à identifier les ressorts de l'abstention, n'en soulève pas moins des méfiances aussi bien chez les partis politiques que les citoyens. Le taux d'abstention sans précédent, qui a marqué les législatives du 17 mai dernier, tel un stigmate rédhibitoire, continue d'agiter la classe politique, chacun y étant allé de sa propre interprétation du fait. Dans le but évident d'identifier les ressorts profonds du rejet collectif des urnes qu'avaient exprimé les algériens, le ministère de l'intérieur vient de prendre une initiative en adressant quatre millions de lettres aux citoyens afin de connaître les raisons de leur non-participation aux dernières législatives. “Nous attendons de ces citoyens qu'ils fassent preuve de compréhension et coopèrent afin d'éviter l'abstention lors des prochains rendez-vous électoraux”, expliquait, mardi passé, le ministre de l'intérieur. Cette initiative, une première dans les annales de l'administration algérienne, procède, à n'en pas douter, du souci d'en savoir plus sur le comportement abstentionniste du citoyen pour que le département de Zerhouni puisse agir en conséquence, en prévision des élections locales du mois de novembre. Visiblement, le ministre de l'intérieur a pris ses responsabilités et veut agir à son niveau pour conjurer le spectre du rejet des urnes, qui ne manquerait pas de ternir davantage le système politique algérien et les acteurs qui l'anime. L'amendement de la loi électorale qu'il a initiée fait partie de ces mesures. Reste que cette correspondance, dont on ignore le contenu pour le moment, pose moult questions. Pourquoi quatre millions de citoyens, pas plus et pas moins, alors que le nombre de ceux qui n'ont pas voter le 17 mai dernier était de loin supérieur ? Ces lettres sont-elles adressées uniquement aux citoyens des régions où l'on ne s'était pas bousculé devant les bureaux de vote, sachant qu'il y a eu des circonscriptions électorales, notamment dans l'Algérie profonde, où les algériens, bon an mal an, sont au rendez-vous. Il s'agit, en fait, de savoir sur quel paramètre le département de Zerhouni s'est basé pour procéder à cet échantillonnage. Mais au-delà de ces questions techniques, la lettre du ministre de l'intérieur pose aussi un problème politique, quand bien même il est établi que la préoccupation des pouvoirs publics est de réconcilier les algériens avec les urnes. En effet, l'abstention est un droit consacré par la constitution. C'est, en fait, l'un des rares moyens que l'Algérien a entre ses mains pour exprimer sa défiance à l'égard des politiques, dans le pouvoir et dans l'opposition aussi, des lors que les manifestations de rue sont interdites et la presse, soupape de sécurité, sommée de faire dans la nuance. La réaction des partis politiques, est révélatrice de la méfiance que soulève “la méthode Zerhouni”. Karim Tabou, le premier secrétaire du FFS, y voit “un moyen de pression et de terreur des citoyens qui ont boycotté un acte du processus institutionnel imposé”, dans un communiqué qui qualifie la démarche de “comportement irresponsable”. Pour le parti de Hocine Aït Ahmed, “le vote est un droit, mais le citoyen n'est pas tenu de l'exercer”. Au niveau du MSP, le jugement est plus nuancé de la part de Abderazak Mokri qui ne va pas jusqu'à contester au ministère de l'intérieur le droit de disséquer les raisons de l'abstention. Il admet même une partie de la responsabilité des partis politiques par rapport au phénomène d'abstention. Cependant, le vice-président du MSP, connu pour sa liberté du ton, par rapport à la ligne officielle du parti rejoint le parti du FFS, lorsqu'il impute le discrédit de l'exercice politique au ministère de l'intérieur. Ce qui n'est pas, évidemment, le cas du RND qui fait une lecture positive de la démarche du ministère de l'intérieur, laquelle, selon Miloud Chorfi, correspond parfaitement à l'esprit de l'analyse faite par Ahmed Ouayhia, après les résultats des législatives. “Il est de la responsabilité du ministère de l'intérieur de s'interroger sur les raisons de l'abstention, pour faire en sorte que des mesures soient prises”, dit le porte-parole du RND qui rappelle, au passage, que son parti a soutenu les propositions de Zerhouni lors du débat à l'assemblée, concernant particulièrement la disposition relative à l'exigence du taux de 5% des suffrages pour tous les partis souhaitant prendre part à la prochaine consultation électorales. “La correspondance de Yazid Zerhouni suscite prévention auprès du citoyen qui y voit le retour à des pratiques en usage à l'époque du parti unique”. à cette époque, aujourd'hui remise dans la case des mauvais souvenirs, l'administration exigeait du citoyen, désireux d'obtenir un quelconque document, de décliner sa carte de vote pour vérifier si elle porte bien la mention “a voté”. C'est dire, pour y revenir, que dans “la méthode Zerhouni”, il y a la médaille et son revers. N. Sebti