Avant même que la réunion d'hier de l'opposition irakienne placée sous l'égide des Américains ne soit entamée, les premiers signes de rejet d'une hégémonie US en Irak sont apparus. Des milliers d'Irakiens, en majorité chiites, ont investi les rues de Nassiriyah pour dénoncer cette rencontre. La manifestation, qui rassemblait quelque 20 000 contestataires, était encadrée par les dignitaires religieux. “Nous demandons le départ des forces américaines et britanniques. Elles nous ont libérés de Saddam et leur mission est terminée”, a affirmé l'un des organisateurs de la marche. Et d'ajouter : “Si elles comptent nous occuper, nous nous y opposerons. Nous les invitons à nous laisser libres de décider de notre avenir et non à nous imposer des gens.” Il s'avère clair que la présence américaine en Irak est loin d'être souhaitée par les Irakiens, abstraction faite de leur appartenance ethnique et confessionnelle. Ce qui semble irriter le plus les Irakiens, c'est le fait de vouloir désigner une autorité civile à l'issue de cette série de réunions programmées par les Américains pour gérer la transition, alors que la gestion réelle a été déjà confiée au général à la retraite Jay Garner. Hormis ce sentiment de rejet général d'une présence américaine en Irak, l'aboutissement à une direction irakienne représentative de la société est des plus incertaines, au vu des positions des uns et des autres. Selon le responsable d'une fédération régionale d'ingénieurs irakiens, un gouvernement chiite est loin de faire l'unanimité. L'émergence d'un nouveau pouvoir à Bagdad risque de se faire dans la douleur et peut ne pas être représentatif au grand dam de Washington, pressé de normaliser la situation dans ce pays. Le refus de prendre part à la réunion d'hier du principal mouvement de l'opposition chiite, en l'occurrence l'Assemblée suprême de la révolution islamique en Irak, ne fait qu'amenuiser les chances de réussite de ce rendez-vous, que les Américains considèrent comme crucial pour leur avenir dans la région. Il y a lieu de signaler la défection dans cette réunion de l'homme “clé” dans le scénario arrêté par l'Administration Bush, pour l'avenir de l'Irak, à savoir le chef du Congrès national irakien, Ahmad Chalabi qui a préféré déléguer un représentant. Ce sont là des signes qui ne trompent pas sur l'hostilité irakienne à une présence américaine de longue durée dans le pays, ou à la désignation d'un pouvoir à la solde des Etats-Unis. Les plans échafaudés par les stratèges de la Maison-Blanche pour faire de l'Irak une annexe de Washington ont peu de chances d'aboutir parce qu'ils ont été conçus, semble-t-il en méconnaissance de la composante réelle de la société irakienne. L'exaspération des Irakiens vis-à-vis de la présence américaine parmi eux est perceptible dans leurs discussions et surtout dans le discours des religieux. D'ailleurs, l'un des dignitaires chiites les plus influents, l'ayatollah Ali Sistani, a déclaré, par la voix de son fils, Sayyid Mohamed Réda Ali Sistani, parce qu'il refuse de parler directement à la presse, que l'Irak “doit être gouverné par les Irakiens”. K. A.