Plusieurs scénarios mis en branle par les coalisés en Irak s'avèrent incompatibles avec la réalité. La chute du pouvoir de Saddam Hussein a fait basculer tout l'Irak dans une situation anarchique. Les forces coalisées n'ont pas prévu, au retour, la réaction des Irakiens. Aujourd'hui, plus que jamais, cette vacance du pouvoir engendre des manifestations, ici et là, dont les conséquences sont souvent brutales. Beaucoup de morts et de blessés au sein de la population irakienne. Les Américains ont la gâchette facile pour réprimer toutes les oppositions. Depuis la chute du dictateur, les choses ne tournent pas telles qu'elles étaient planifiées. Si sur le champ de bataille les GI ont triomphé, beaucoup reste à faire pour le rétablissement de l'ordre. Le général à la retraite, Jay Garner, administrateur civil, rencontre énormément de difficultés pour asseoir son administration et ce, malgré la visite sur le terrain de Powell pour assurer l'opposition que la présence américaine serait, selon eux, la plus courte possible. Le 28 avril date de l'anniversaire de Saddam Hussein, les Bagdadiens ont décidé de la marquer par une manifestation de rue, tout en brandissant le portrait du président. Cette sortie est ressentie par les Américains comme une brimade. La réponse est vite arrivée. Des tirs nourris en direction de la foule a suscité un certain écoeurement au sein même de «la grande famille» qui défend Saddam. Pour l'opposition, le sentiment est celui «de bannir à jamais» de l'histoire de l'Irak, le nom de Saddam, assimilé à «trop de sang versé» et «à la disparition de millions d'Irakiens dans les geôles créées pour ce genre de besogne». Ainsi, le conflit tend à perdurer et le sentiment de rejet manifesté a fait prendre conscience aux Américains que la désignation d'un militaire, même à la retraite, ne peut aboutir à une «paix durable». La première victime des événements aura été le général Garner relevé de ses fonctions et remplacé par un civil, Paul Bruner qui, selon le département d'Etat, serait une personnalité civile «rompue aux arcanes des situations tendues». Il reste, pour G. W.Bush, la seule alternative possible, afin de ramener l'ordre et aller de l'avant pour la constitution d'un gouvernement provisoire qui doit jeter les bases d'un «pouvoir démocratique». Dans cette situation où la question de la reconstruction du pays est déjà entreprise par les multinationales, l'entité politique demeure une énigme. Les deux réunions de l'opposition, tenues sous l'égide des USA, ont tracé les grandes lignes, mais ne sont guère arrivées à dégager un consensus autour d'un pouvoir dirigeant. Une troisième réunion est prévue pour ce 15 mai, afin que le pouvoir de transition puisse enfin remettre le pays en marche. Toutefois, les Américains se gardent de prononcer la fin de quarante années de dictature. Le renversement d'un régime ne suffit nullement à «crier victoire» car les réminiscences d'un passé nostalgique risquent de remettre en cause tout le processus engagé. En effet, la population irakienne est composée de plusieurs ethnies longtemps artificiellement séparées. La majorité chiite agit avec «souplesse» pour prendre les rênes du pouvoir. Pour les Américains, cette frange de la population, qui entretient des rapports étroits avec l'Iran, reste suspecte. Elle constituerait, selon eux, un danger permanent pour les intérêts américains dans cette région. Elle risque aussi de remettre en cause toutes les initiatives entreprises jusqu'à ce jour. Le pèlerinage de Kerbala n'est qu'un signe avant-coureur de cette «antipathie» chiite envers «ce chrétien US». Ce sentiment de refus amène, toutefois, les chiites à temporiser afin d'éloigner toute animosité. «Les Américains étaient là pour renverser Saddam et non pour prendre nos richesses», clament les manifestants chiites, galvanisés par les chefs religieux, rentrés d'Iran. «Ils sont jeunes mais trop écoutés par le peuple», notent les observateurs. Pour les Américains, la stratégie demeure la refonte économique pour permettre aux Irakiens «de profiter de leurs richesses naturelles». Mais, cette refonte implique une refondation du pouvoir politique qui répondra, dans une large mesure, aux intérêts américains. Comment arrivera-t-on à concilier ces deux paramètres? Le Pentagone a résolu cette équation en allant vers un système fédéral où chaque ethnie peut s'exprimer sur ses droits et devoirs.