Dans la mosquée d'en face, Al-Atique, des versets de Coran étaient récités tandis que des jeunes couvraient les cadavres avec les banderoles qu'ils brandissaient une demi-heure avant. Sur les cadavres de certaines victimes de cet acte barbare, on lisait “Oui à la Charte nationale”. Jeudi après-midi, sur le boulevard de la cité des 84-Logements, de part et d'autre du chemin que devait emprunter le cortège présidentiel des milliers de citoyens se sont entassés. Avec d'autres journalistes, j'étais sur les fameux escaliers de la cité en train de prendre des photos du site, soit le site du projet des travaux de couverture de l'oued qui traverse la ville de Batna. La stèle, point d'arrêt du Président, était à 20 mètres de nous. Personne parmi la foule et les journalistes ne sait qui criait, qui est victime et qui est témoin oculaire d'un lâche attentat contre le président de la République qui ôtera la vie à pas moins d'une vingtaine d'entre eux et laissera des séquelles à vie pour une centaine d'autres. Depuis les premières heures de la journée de ce jeudi, des mesures sécuritaires très renforcées ont été constatées dans la ville envahie par des grappes humaines de tous les âges et des deux sexes. Aux environs de 13h30, le “baroud” de la fameuse “fantasia aurésienne”, les chants des troupes folkloriques chaouies aux couleurs vives installées sur le boulevard, l'ambiance spécifique à la région. Le mariage harmonieux entre ces tableaux féeriques, les grands portraits du président de la République et les drapeaux aux trois couleurs, annonçaient tout sauf le malheur qui allait venir. Vers 17h05, au moment où la gaieté s'est installée, un jeune d'une vingtaine d'années, lourdement habillé pour une journée ensoleillée et très perturbée, est remarqué au sein de la foule. À l'approche des agents des services de sécurité, il a entamé une petite course. En moins de 5 minutes, le lieu est secoué par une forte déflagration épaisse et noire fumée. La terre a tremblé sous nos pieds avec cette sensation de se perdre dans un éternel essoufflement. Un silence amer dure le temps de dissipation de la fumée, puis la foule se perdait dans toutes les directions. La première vision que j'ai eue, une fois revenue à moi, est l'image de cet homme qui courrait avec un enfant blessé sur les bras. Une fois l'épais nuage noir dissipé, un tableau sanguinaire se dévoila avec des corps entassés l'un à côté de l'autre. On arrive à peine à les différencier. En se rapprochant du lieu de l'explosion, on a remarqué tout en retenant une nausée de dégoût envers la bêtise humaine que les restes des corps humains ont été projetés à plusieurs mètres du point d'impact. Les agents de la Police nationale se précipitaient à éloigner une foule désemparée du théâtre des évènements. Les youyous des femmes, qui fusaient il y a cinq minutes, ont laissé place à des cris de détresse et des gémissements de douleur. Dans la mosquée d'en face, Al-Atique, on récitait des versets du Coran tandis que des jeunes couvraient les cadavres avec les banderoles qu'ils ont brandies une demi-heure avant. Sur les cadavres de certaines victimes de cet acte barbare on lisait “Oui à la Charte nationale”. Il faut dire que dans la confusion générale qui s'est emparée des lieux, l'évacuation des blessés a eu lieu dans le bus des journalistes. Cette situation a été rendue nécessaire en raison de l'impossibilité pour les ambulances et les voitures de la Protection civile d'accéder au lieu du drame compte tenu de la cacophonie qui s'est emparée de la foule. Et le Président ? Le Président et son cortège avaient fait du retard. Ils devaient, en effet, arriver vers 17h10, à la rue Larbi-Tébessi. Ce retard lui a évité vraisemblablement d'être la cible de l'attentat. Selon les premiers témoignages recueillis sur place, deux hypothèses expliquent l'attentat. La première parle d'un jeune de 30 ans qui tenait un sachet noir. Interpellé par la police, ce jeune, dit-on, qui a pris la fuite a jeté le sachet sur la foule, d'où la déflagration. La seconde hypothèse évoque un kamikaze. Ce dernier portait une ceinture bourrée d'explosifs, explique-t-on. F. Lamia/Nadia Mellal