L'ancien ministre de la Culture et de la Communication demande aux pouvoirs politiques d'assumer leur “responsabilité historique” et de prendre une initiative politique forte, à même de relancer le dialogue. Il est des anniversaires et des commémorations qui rappellent combien il est difficile de se départir de nos archaïsmes dès qu'il s'agit d'interpeller, ou pis encore, de convoquer notre conscience pour se recueillir sur nos drames. La situation en Kabylie en est la parfaite représentation. Elle constitue une des plus graves manifestations de la crise multiforme qui a nourri l'expression désespérée de la révolte et intégré ce phénomène de généralisation de la contestation violente comme seul mode d'expression social et politique dans notre pays. Le rétrécissement des espaces de liberté et l'entêtement d'un pouvoir politique — qui ne fait rien sans la pression — conjugués à l'absence d'imagination et de générosité ont vite fait le reste. Pourtant, toutes les familles politiques s'accordaient, dans un rare consensus il y a 2 ans à peine, à considérer le mouvement citoyen en Kabylie — dont la plate-forme d'El-Kseur est l'expression d'un combat pour des valeurs de justice, de démocratie et de dignité communes à tous les Algériens — comme une avancée d'essence démocratique. En réalité, le plus important acquis politique depuis octobre 1988 et que la raison commandait de préserver et de consolider. Les jeunes représentants de ce mouvement spontané et citoyen ont réussi à mobiliser aux portes d'Alger la plus impressionnante manifestation dans l'Histoire de l'Algérie, rompant ainsi avec des modes de représentations qui ont fait leur temps et réduisant à leur réelle dimension les prétentions des relais féodaux régionaux installés depuis le beylicat. Ils ont dans ce sens réhabilité le combat pour la dignité, non seulement en Kabylie, mais également dans tout le reste de l'Algérie en donnant la mesure de l'indigence des mécanismes de dialogue et de l'absence de confiance mutuelle. D'ailleurs, le ministre de l'Intérieur reconnaissait, lui-même, il y a une année, que l'onde de choc de la Kabylie avait touché pas moins de 300 localités à travers toute l'étendue du pays. C'est là une des forces majeures de ce mouvement naissant : avoir réalisé, avec un rare sens de la responsabilité et en dépit des interférences des plans de laboratoire, l'urgence d'inscrire ses revendications dans une perspective de préservation et de renforcement de l'Etat national républicain. C'est aussi parce qu'il a réussi à le faire qu'il nous a prémunis contre le risque majeur d'émergence de courants radicaux, ce qui aurait conduit à la marginalisation des patriotes pour le seul profit des forces sectaires et régionalistes. C'est enfin pour cela que les plus hautes autorités du pays — le chef de l'Etat notamment — ont dû reconnaître solennellement le caractère légitime, national et républicain des revendications du mouvement citoyen. Ces déclarations n'ont pas été, faute de courage politique, suivies d'actions concrètes, de nature à favoriser la mise en place des mesures de confiance nécessaires à tout début de dialogue franc et sincère. Il appartient, à ce stade, au pouvoir politique et à lui seul, en raison de sa responsabilité historique avérée dans le déclenchement et dans la persistance de la crise du fait de sa mauvaise gestion, de prendre une initiative politique forte, de nature à promouvoir la concertation et le dialogue dans les formes qui préservent les impératifs de cohésion de la nation et les acquis démocratiques du combat de la Kabylie pour l'Algérie. L'Histoire le jugera sans concession. A. R. (*) Ancien ministre de la Communication et de la Culture Membre de la Société espagnole des Relations internationales