Le retour du leader du FFS, Hocine Aït Ahmed, en Algérie après un exil volontaire de cinq ans en Suisse qu'il avait rejoint au milieu de la campagne électorale pour l'élection présidentielle, alors qu'il était candidat suite à un ennui de santé, suscite dans la classe politique et au sein de l'opinion qui s'intéresse à la chose politique interrogations et questionnements sur le sens et la portée de ce pèlerinage politique. Officiellement, et M. Aït Ahmed lui-même avait tenu à le préciser dans une déclaration à la presse à son arrivée à Alger pour contrecarrer toute interprétation qui pourrait en être faite de son geste, que sa présence en Algérie n'est motivée, selon lui, que par l'appel du souvenir de la Révolution qu'il a voulu partager avec le peuple algérien en ce cinquantième anniversaire du déclenchement de la Lutte armée. A en croire M. Aït Ahmed, rien d'autre ni personne ne l'aurait décidé à prendre l'avion pour l'Algérie dans la mesure où les conditions politiques, en termes de pratique démocratique par lesquelles il a toujours justifié son départ du pays, n'ont pas substantiellement changé aujourd'hui. Sans douter de la sincérité des sentiments qu'une figure de proue de la Révolution algérienne comme lui peut ressentir à l'occasion de dates anniversaires, comme la célébration du 1er Novembre pour y avoir vécu dans le feu de l'action toutes ses péripéties, il est difficile de croire que son retour est exclusivement lié à cet événement. D'ailleurs, s'il y avait un quelconque doute en ce sens, il a été vite balayé par la conférence animée dimanche conjointement par lui, Abdelhamid Mehri et l'ancien Premier ministre Mouloud Hamrouche. Cette conférence, qui devait être axée à l'origine sur le témoignage d'un historique sur l'épopée de Novembre 1954, a vite fait de dériver sur un terrain politique par une analyse critique du système depuis l'indépendance à nos jours sur la base des thèses puisées du programme de son parti. La jonction avec Mouloud Hamrouche et Abdelhamid Mehri, deux personnalités politiques en rupture de ban avec le FLN, ne date pas d'aujourd'hui. Avec l'ancien secrétaire général du FLN, il avait fait cause commune dans le cadre du contrat de Rome. Quant à Mouloud Hamrouche, il partage avec lui la même vision des réformes politiques et démocratiques. D'ailleurs, l'ancien Premier ministre, qui ne s'exprime pas souvent en dehors des événements politiques majeurs comme les campagnes électorales, est sorti brusquement de sa réserve coutumière en adoptant un ton résolument critique à l'encontre du Pouvoir, de la même veine que celui utilisé par Aït Ahmed. Le tir groupé de ces trois personnalités contre le système et le Pouvoir en cette date anniversaire, où l'usage et la bienséance auraient voulu que les querelles et divergences politiques soient remisées aux vestiaires, répond-il à une stratégie politique annonçant une prochaine initiative politique ? La sortie médiatique de Aït Ahmed n'est certainement pas fortuite. Il a toujours su doser et programmer dans le temps et l'espace ses incursions dans le débat politique. le capital révolutionnaire Sa présence en Algérie aujourd'hui, alors que le pays célèbre un demi-siècle dans l'âge de la Révolution algérienne, est porteuse manifestement d'un message destiné à la fois au Pouvoir et à l'opinion. Le premier est interpellé pour opérer l'indispensable rupture avec le système en ouvrant le champ politique et médiatique. Quant à l'opinion publique, Aït Ahmed a voulu, d'une certaine manière, par son retour parmi son peuple, rappeler à ceux qui l'ont oublié qu'il est un digne enfant de ce peuple et qu'il ne laissera pas le monopole de la Révolution à ceux qui n'ont eu de cesse de l'instrumentaliser à des fins politiques et partisanes. C'est le sens aussi à donner à ce retour au bercail. Bien évidemment, ce besoin ou cette quête de légitimation révolutionnaire ne répond pas uniquement à un désir de ressourcement. C'est aussi un moyen et une opportunité pour rebondir politiquement dans un pays où plus rien ne mobilise la population. Si tel est le calcul de Aït Ahmed, c'est-à-dire s'il compte bonifier son capital révolutionnaire et en faire un placement sûr pour se placer sur l'échiquier politique, il fait fausse route. La légitimité révolutionnaire n'est plus depuis longtemps déjà un motif qui influence le vote des électeurs. Après la déconfiture du FLN en proie à des déchirements internes et l'absence dans le champ politique de forces capables de fédérer les forces démocratiques et de progrès, voire aussi l'absence d'une opposition réelle au Pouvoir après l'élection présidentielle d'avril dernier qui a fait rentrer dans leurs chaumières les partis politiques, toutes tendances confondues, Aït Ahmed pense que la conjoncture est aujourd'hui favorable pour occuper le terrain et se poser en tant que force d'opposition alternative au système et aux forces politiques en place. Il n'a peut-être pas d'ambition personnelle pour les futurs rendez-vous électoraux du fait de sa santé fragile et de son âge, mais les liens qui l'unissent à Hamrouche laissent à penser qu'il travaille patiemment à un scénario politique dont il n'a encore rien révélé pour le moment. Il reste à savoir quels pourraient être l'efficacité et l'ancrage dans la société d'une action politique pilotée de l'étranger. A moins que Aït Ahmed n'ait décidé de mettre fin une nouvelle fois à son exil. Et que sa présente visite de reconnaissance du terrain politique vise précisément à préparer son retour définitif.