Triste bilan pour une école algérienne, qu'on a en vain tenté de transformer en instrument de développement et de transformations sociales. Elle forme des diplômés, mais en fait, des chômeurs quand elle ne les jette pas dans les bras du terrorisme islamiste. La réforme de l'école algérienne nage en plein brouillard et depuis une dizaine d'années, c'est la navigation à vue. Cette réforme a été et reste toujours un enjeu politique et idéologique majeur. Articulée autour de la question de l'arabisation, symbole de l'échec pour les uns, étendard d'une arabo-islamique à fleur de peau pour les autres, elle aura surtout servi d'expression à un dualisme politique dont l'école aura été le grand vaincu. La refondation de l'école algérienne ne souffre ni de moyens, encore moins de compétences, mais s'est résolue fatalement à faire l'impasse sur l'idée clairement définie qui doit répondre, sans ambiguïté, à la question de savoir quelle école pour quelle Algérie ? Dans un contexte algérien dominé par la montée en puissance de l'islamisme politique, la langue arabe se révéla le grand portail à l'intelligibilité du discours religieux qui cristallise les vertus de la “dawla islamia”. Ainsi, la réforme de l'école, est devenue un éternel recommencement et surtout, autant que le sera la langue, une question éminemment politique qui détermine, selon le rapport de force, les choix pédagogiques, didactiques et linguistiques du moment dans un contexte social ambivalent. Voilà la situation autrement résumée, en 2004, par le pilote de la réforme éducative, le ministre de l'Education nationale, en l'occurrence : “La commission Benzaghou a émis la proposition d'enseigner les matières scientifiques en français, mais le Conseil des ministres s'y est opposé. […] Il a été difficile pour le gouvernement d'introduire les langues étrangères dans le système éducatif algérien, car chacun a son mot à dire. Il y a les conservateurs et les démocrates…” Autant dire que la question s'accommode mal d'entreprises de rénovation qui tentent de s'inscrire exclusivement sur le registre technique et scientifique. D'autant mieux que l'Algérie des années 1990 a fini par être enfermée dans le triptyque identitaire (nationalisme, arabité, islamité) qui oppose, en référence à un passé colonial frustrant, une résistance farouche à l'universalisme. Au point où toute ouverture vers l'extérieur est assimilée, dans certains cercles du pouvoir qui constitue aujourd'hui une véritable force d'inertie, comme une grande traîtrise (khiana odhma). Et là, réside tout le problème de l'introduction des langues étrangères dans le système éducatif algérien et plus particulièrement le français, une langue qui reste fortement chargée politiquement et idéologiquement. Ainsi sortir de certains stéréotypes, c'est courir le risque d'être assimilé à “hizb frança”. Et curieusement, c'est un fonds de commerce qui a été judicieusement exploité par l'islamisme politique. Cette vision n'est pas nouvelle, elle date des années 1980 avec l'apparition du mouvement islamiste, qui prendra d'emblée ses quartiers dans les mosquées et progressivement dans les écoles. Aujourd'hui, l'arabisation a gagné en extension mais pas en qualité et, une chose est sûre, elle est devenue le meilleur allié de la propagande islamiste. L'exemple le plus édifiant nous vient de l'actualité brûlante qui fait d'un collégien sans problèmes un kamikaze. Voilà où en est la réforme du système éducatif. A contrario, il faut dire que dans la réaction hostile à l'islamisme, on incrimine l'arabisation. Et il est facile d'admettre, aujourd'hui, que les gestionnaires du système éducatif ont été guidés par tout sauf par le souci pédagogique. L'éditorialiste du Monde écrivait en substance, au début des années 1990 : “Pauvres Algériens, dans dix ans ils ne sauront parler ni l'arabe ni le français correctement.” Caricaturée, cette formulation nous donne dans la bouche d'un Algérien des années 2000, à peu près ça : “Nos pauvres enfants sont devenus des analphabètes bilingues.” C'est là tout le drame. ZAHIR BENMOSTEPHA