L'Ecole algérienne a cessé d'être ce lieu fécond du savoir et de la réussite sociale. Elle a cessé d'être une école de l'effort, un foyer où l'enfant s'épanouit. De réforme en réforme et en dépit des efforts et des budgets colossaux alloués par l'Etat, l'Ecole algérienne a glissé progressivement vers l'échec. Otage des enjeux idéologiques, notre école est devenue une caserne, une foire d'empoigne. Al'indépendance de l'Algérie, le secteur de l'éducation a connu une continuité aux plans programmes, pédagogie et méthodologie du modèle hérité du système de l'école coloniale. Cette profitable continuité s'inscrivait dans le cadre des accords d'Evian intervenus entre la France coloniale et l'Algérie combattante en matière de coopération technique. Ces accords stipulaient que la France devait assister l'Algérie indépendante par l'envoi d'enseignants pour le primaire, le secondaire et l'université en attendant la formation progressive des enseignants et des cadres algériens du secteur. L'élan patriotique a favorisé alors la multiplication des infrastructures, l'épanouissement du savoir et une scolarisation plus générale, ce qui a permis d'obtenir des résultats plus qu'honorables. Ces résultats positifs étaient dus au fait que l'école se tenait encore loin des affrontements idéologiques (politique et religieux). C'est ainsi qu'émergera une génération de diplômés qui a participé efficacement au lancement du développement du pays. Rupture de la continuité Mais à partir des années 1970, l'Etat algérien rompt la continuité combien utile et efficace. Il anticipe sur le remplacement des coopérants techniques français par ceux venus du Moyen-Orient.Cette anticipation avait comme objectif de s'affranchir ainsi de l'utilisation de la langue française considérée comme fardeau colonial dont il fallait se séparer. La population algérienne, encore sous l'europhie induite par l'indépendance, manipulée dans sa confession majoritairement musulmane, adhérait intuitivement, naïvement et systématiquement aux décisions du pouvoir en place. La politique d'arabisation était, donc, lancée sous le couvert du sentiment fallacieux du prolongement du recouvrement de la dignité et de la personnalité algérienne. Cette manipulation des sentiments humains, utilisée massivement, va induire des conséquences de régression qualitative grave pour l'Ecole algérienne. Réformes scolaires et déperdition scolaire De réforme en réforme et en dépit des efforts et des budgets colossaux alloués par l'Etat au secteur de l'éducation (plus de 25% du budget de l'Etat), l'Ecole algérienne a glissé progressivement vers l'échec que nous lui connaissons aujourd'hui. Notre école est devenue une caserne, une foire d'empoigne où les enjeux extra-scolaires lui feront cesser sa noble mission de lieu fécond du savoir et de la réussite sociale. Elle a cessé d'être une école de l'effort, un foyer où l'enfant s'épanouit. Dans cet empressement aveugle à arabiser l'école à coup de décrets, la langue arabe, qui a accusé un retard énorme en matière d'expression scientifique, elle-même perdra de sa valeur intrinsèque, car elle ne sera pas utilisée comme langue d'enseignement, du moins dans les domaines qui lui sont accessibles, mais plutôt comme levier et stratégie politique et idéologique dont la seule mission est d'arabiser. Même, l'islam, introduit comme discipline scolaire, a cessé d'être une religion dans sa fonction de spiritualité et de rapport à Dieu pour devenir un redoutable outil d'endoctrinement. Sans tenir compte de ce qui pouvait utilement servir le pays, ces réformes avaient totalement occulté la qualité des programmes et les méthodes en se cachant derrière l'écran d'une démocratisation illusoire du secteur. La chute du niveau de formation et les déperditions scolaires s'accéléreront d'une manière vertigineuse en raison de l'inadaptation et de l'inadéquation du contenu des programmes par rapport aux exigences et à l'envolée du niveau des connaissances des sciences et des technologies modernes particulièrement. On ne peut fatalement rattraper des siècles de retard par la grâce d'un décret exécutif. La mystique du nombre savamment exploitées ne peut aussi camoufler encore davantage la dégradation du secteur et l'inefficacité avérée de l'institution scolaire. Ainsi, les conservateurs achèveront le sens même donné à l'institution scolaire devenue, hélas, le lieu privilégié de l'aliénation. La plupart des institutions pédagogiques où s'élaborent les programmes scolaires et les recherches pédagogiques, à l'exemple de l'Institut pédagogique national (IPN) ont été démantelées. Elles étaient soumises aux injonctions des conservateurs et des politiques totalement étrangers au secteur de l'éducation. Les pédagogues et autres spécialistes de l'institution se sont vu débordés et doublés dans leur fonction et les performances pédagogiques abandonnées. Les supports scolaires ne véhiculaient plus de savoir didactique. Le passage systématique des élèves d'une classe à une autre, qu'aucune raison ne peut justifier, était une dérision des plus graves. Le système de l'école fondamentale institué par l'ordonnance de 1976 reposait sur un vide pédagogique. Il cultivait déjà en soit l'arrière-pensée d'un fondamentalisme linguistique et religieux qui s'avérera dramatique pour l'Ecole algérienne. Le vide culturel pèsera encore plus dans la médiocrité des résultats. L'état physique et rébarbatif de nos écoles apportera sa part de monotonie à l'environnement désolant ambiant. Un autre facteur aggravant de la déperdition et du dépérissement de notre école est la sous-qualification des enseignants. En effet, ils étaient recrutés, d'une manière aléatoire (après leur propre échec scolaire) et sans formation préalable. On pensait alors que l'urgence était d'accueillir la masse d'élèves qu'imposait une démographie galopante et non maîtrisée. L'école se transformera alors vite en une vaste garderie. Dysfonctionnement de l'équation école-développement L'Ecole algérienne sera incapable alors de former des cadres dont allaient avoir besoin les secteurs technique et économique lancés dans le gigantisme industriel. Face à l'impuissance des technocrates, en charge de ces secteurs économique et industriel en plein développement, à arrêter l'aventure hasardeuse de l'école et anticipant sur le déséquilibre de l'équation école/développement qui allait provoquer un manque dans l'encadrement des structures économiques. C'est ainsi que les grandes sociétés comme la Sonatrach, les ex-Snic, la Sonelec, la SNS, la Sogedia... organiseront des concours sous forme de sélection des profils en vue de leur envoi pour formation à l'étranger. La plupart des étudiants envoyés en formation et qui finiront brillamment leurs études ne reviendront jamais plus au pays. Ils seront convoités et recrutés par des multinationales. Seuls environs 10% de ces cadres tenteront un retour au pays. C'est pour la plupart d'entre eux un retour désespérant et désespéré. L'Algérie aura perdu sur les deux plans : celui de la formation formelle et de la formation informelle. La Sonatrach, principale entreprise qui génère 98% des recettes et exportations du pays, ira plus loin dans cet axe de formation informelle et indépendant du secteur de l'éducation officiel, en créant à Boumerdès toute une université composée de plusieurs instituts d'hydrocarbures relevant directement de sa gestion autonome. Les écoles libres comme solution palliative Cet accaparement particulier du secteur de l'éducation par les conservateurs avait été dénoncé à temps par des responsables conscients des risques qu'allait engendrer une telle hégémonie imposée. La plus importante fut l'action courageuse de l'éminent Mostefa Lacheraf qui a passé et pour cause le plus court séjour en tant que ministre de l'Education nationale. Il dénonce vigoureusement la machine aliénante de l'école. Ses avertissements et recommandations émis à temps méritaient toute l'attention des pouvoirs publics tant il préconisait des propositions de solutions et de redressement à même de réconcilier l'école avec sa véritable mission de promotion de l'homme et de son pays. Malgré son départ précipité, une telle initiative était valable tant que n'avaient pas encore intervenu des transformations sociales et mentales majeures qui ont totalement désorienté notre école. Aujourd'hui, le redressement s'avère des plus difficiles. Une solution de rechange volontariste voit le jour depuis quelques années. En effet, la société civile, malgré le prix à payer, s'organise en associations et s'engage dans la création d'écoles libres. Même si le ministère de l'Education leur fait la “chasse” en tentant de les niveler sur l'école publique en leur imposant un agrément, l'initiative des parents soucieux d'assurer un enseignement de qualité à leurs enfants, reste en soit l'expression majeure de l'échec patent du système scolaire officiel. Interférences sociales Maintenant que les transformations se sont bien installées dans le tissu social algérien, il est aisé de relever des dégâts psychologiques graves chez l'élève dans ses facultés de communication, de réflexion, de création et de valorisation. À ce sujet, il est intéressant de se rapprocher de l'ouvrage de Chafai-Salhi Houria (psychiatre) intitulé : Quand les repères s'anamorphosent ou encore celui de Chevit Bénédicte intitulé : Algérie, politique linguistique : un processus de dépossession. L'Algérie n'a pas réussi au bout de dizaines d'années d'efforts à concrétiser l'objectif initial qui consistait à bâtir une école efficiente et républicaine dont la mission est de former des citoyens pourvus de savoir, du savoir-faire et du savoir-être. Un lieu sécurisant et motivant où l'enfant apprend véritablement à vivre, c'est-à-dire à se connaître, à se respecter, à respecter les autres et où l'on apprend à savoir apprendre, un lieu privilégié où on apprend à aimer ses semblables et à s'en sentir solidaire, un foyer où il s'épanouit. C'est pourtant à l'école, bien plus qu'à la maison que l'enfant doit se découvrir. C'est là qu'il se cultive et qu'il devient productif. C'est là aussi qu'il découvre son pays pour mieux l'aimer et pour mieux le servir par l'enseignement de la morale et de l'éducation civique issu des valeurs universelles en lieu et place de la morale démocratique, déroutante, dogmatique et chauvine. Notre pays paie aujourd'hui le prix fort des aventures politiciennes que la cécité politique, l'entêtement suicidaire, l'esprit obscurantiste, le jusqu'auboutisme infantile et la démagogie populiste accumulés pendant plus de quarante années. Demain peut-être… A. A.