Pour avoir été trop instrumentalisé, ce combat a été dévitalisé, oublié et folklorisé. La Kabylie célèbre, aujourd'hui, le 23e anniversaire des événements du printemps berbère de 1980. Un printemps qui a précipité — comme en avril 2001 — cette région dans un cycle infernal de manifestations-répression suite à l'étincelle que fut l'interdiction par les autorités d'alors d'une conférence sur la poésie kabyle ancienne, que devait donner feu mouloud Mammeri à l'université de Tizi Ouzou. Il n'en fallait pas plus pour les étudiants et, ensuite, toute la population, qui a pris sur elle de piloter le mouvement pour la démocratie et les libertés en Algérie, avec pour fer de lance la revendication identitaire. Et ces douloureux événements de 1980 auront servi d'électrochoc et de catalyseurs à toutes les luttes qui ont suivi, y compris celles sanglantes d'octobre 1988, en passant par celles d'Oran et de Constantine. Il n'est donc pas usurpé de dire que le printemps berbère a été et demeure le “géniteur” légitime du mouvement démocratique en Algérie. Un jalon important dans la lutte pour l'émancipation du peuple algérien, et même au-delà. Mais que reste-t-il de ce combat, de ce repère, 23 ans après ? Pas grand-chose, sinon un vague souvenir, une réminiscence d'une épreuve héroïque menée par des jeunes tout aussi héroïques. Le témoin n'a malheureusement pas été passé aux nouvelles générations, qui n'appréhendent cette date, pourtant phare, que sous le prisme très réducteur et déformant d'un folklore, fait de galas et de manifestations qui n'émeuvent plus personne. C'est que le printemps berbère a été vidé de sa substance culturaliste, de sa valeur d'école pour toutes celles et ceux qui mènent une lutte quelle qu'en soit la couleur. Il a été dévitalisé par trop d'usure, jusqu'à devenir une manifestation folklorique dont usent et abusent des gens qui n'ont même pas été des acteurs de ce formidable sursaut populaire. Le printemps berbère de cette année, comme celui de 2002 d'ailleurs, dégage les senteurs de l'autre printemps, noir celui-là. Le printemps berbère s'est effacé. On l'a effacé. Il risque de disparaître de la mémoire collective des algériens, et c'est bien dommage ! Sa célébration est devenue un marronnier qu'on “liquide” en deux conférences et une exposition de vieilles coupures de presse. Le mouvement culturel berbère (MCB), qui a servi de cadre à ce printemps, n'en est plus un. Il a été cassé, fractionné et tailladé. Au MCB, originel et fédérateur, on a créé des excroissances, des satellites qui servent plus des chapelles que la cause de la démocratie et des droits de l'homme. A l'arrivée, la Kabylie et toute l'Algérie, qui a pris à bras-le-corps et fait sien le combat du printemps berbère, assistent, médusées, à la naissance ininterrompue des MCB, sur les décombres du MCB, le vrai, qui, lui, attend désespérément sa renaissance. C'est précisément cela le combat auquel il faudrait réfléchir aujourd'hui, en ce 23e anniversaire des événements de 1980. Réinventer ce Printemps berbère est une œuvre salutaire, dans un champ culturel en jachère et celui politique pourri. Se ressourcer de ce repère, c'est aussi faire un examen de conscience sur les méfaits d'une instrumentalisation éhontée d'un symbole et d'une cause qui a fini par produire une insoutenable banalisation. Faut-il alors réinventer le printemps berbère ? Oui, vivement ! H. M.