La ville aux sept ponts s'est permis la meilleure de ses toilettes pour recevoir le duo Sarkozy-Bouteflika. Les détails de cette visite, pas comme les autres, réglaient déjà, depuis une semaine, le rythme de la cité. Hier, dès 7 heures du matin, le temps s'est carrément suspendu, tels les 6 ponts toujours en place de la citadelle, dans l'attente du déroulement de la visite présidentielle la plus attendue depuis 1943. Ce jour-là, le général de Gaulle est venu plaider, avec du retard, la cause d'une France appelée à être plus libérale dans le traitement des affaires des indigènes. C'est avec une demi-heure de retard que l'avion du président français a atterri sur le tarmac de l'aéroport Mohamed-Boudiaf de Constantine situé sur le plateau de Aïn El-Bey qui abrite aussi l'université Mentouri. En compagnie du président Bouteflika, qui était à son accueil, l'hôte de Constantine se dirigea vers l'université distante de 7 km. Ici, au moins deux mille personnes, dont la moitié des étudiants, l'attendaient. Plutôt attendaient de vivre des moments d'une visite qui n'a cessé d'animer l'actualité nationale depuis déjà un mois. Contenue par un impressionnant cordon sécuritaire, la foule, bercée par une température douce par rapport à la moyenne saisonnière, crée l'événement par aussi bien la spontanéité de ses slogans que par sa dignité. Aux “Bouteflika entâana” (Bouteflika est le nôtre), se mêlent des couplets de l'hymne national Kassamen. De temps à autre, fusent de timides “Excuses, excuses”. Ceux qui s'attendaient à des “Donnez-nous des visas” seront déçus ce jour-là. À l'intérieur de l'auditorium Benyahia, l'assistance, sur les lieux depuis 7 heures du matin, reçoit le président français avec de forts applaudissements. Aux étudiants, enseignants, responsables locaux, animateurs du mouvement associatif se sont joints dès 9h30 les membres du gouvernement drivés par leur chef, Abdelaziz Belkhadem. Même le général de corps d'armée, Ahmed-Gaïd Salah était là. C'est un Sarkozy en forme qui se lança à la conquête des jeunes étudiants constantinois. En quelques mots, il répondra à tous ceux qui s'interrogeaient sur le choix de Constantine comme étape de cette visite. L'ex-capitale du royaume de la Numidie est l'espéranto de la diversité, non pas comme concept, mais comme valeur. Elle est le résumé de cette page d'histoire qui déchire les deux nations. Une épopée construite par des chrétiens, des musulmans et des juifs, mais gâchée par le fait colonial que Sarkozy dénonça, sans condamner. Une façon à lui de respecter la mémoire de son peuple sans faire dans l'apologie du colonialisme. Mieux, pour lui, l'Algérie et les Algériens furent des victimes de ce fait abominable. “Le système colonial était injuste par nature, et il ne pouvait être vécu autrement que comme une entreprise d'asservissement et d'exploitation”, est une phrase qui fera applaudir la salle. De nombreux officiels, comme le ministre de l'Intérieur, M. Yazid Zerhouni, hochèrent la tête comme pour lui dire “merci, vous nous avez compris”. C'était au moment où il fera allusion aux crimes commis par certains juifs de Constantine, un certain 12 mai 1955 en guise de répression à la suite d'un attentat perpétré par le FLN/ALN. Si sa plaidoirie de la cause des Français d'Algérie est reçue par les sifflements de quelques jeunes étudiants, les applaudissements deviennent soutenus quand le chef de l'Etat français admettra qu'en 1837, la conquête de Constantine a exténué un peuple libre. En effet, ici, les vieux savent qu'indépendamment du fait colonial, Constantine fut vraiment aimée par ses habitants. Il y a l'exemple de ce Juif algérien qui, après son départ en 1962, s'est enfermé pour mourir quelques mois après. Cette histoire connue des Constantinois, résume à elle seule la déchirure des uns… Du Plan de Constantine à l'union méditerranéenne C'est quand Sarkozy commence à traiter de l'avenir que l'assistance devient de plus en plus acquise. On sort les portables pour immortaliser les moments d'un discours aussi important que celui tenu, il y a 57 ans de cela, ici même par le général de Gaulle venu faire la promotion du célèbre mort-né Plan de Constantine. Reste que le contexte est autre. L'offre émane d'une nation débarrassée de son statut colonial à une autre libre et souveraine. “Il est vital de donner de la force à ce qui nous unit et aller à l'essentiel, travailler.” La jeunesse algérienne qui ne demande que cela le fera comprendre à Sarkozy par d'autres applaudissements. Ils seront de plus en plus nourris jusqu'à la fin du discours. En quittant l'auditorium, Sarkozy retrouva la foule qui le reçut à son arrivée, il y a une heure avant, tout acquise à ses thèses et prête à répondre à son appel pour construire une union méditerranéenne avec comme un gagnant-gagnant franco-algérien. En plein centre-ville, Sarkozy, avec Bouteflika, traversera à pied et depuis la sinistre prison du Koudiat l'ex-rue Roll pour atteindre l'hôtel Cirta. Il est salué par des dizaines de Constantinois, de tous âges et des deux sexes. Son discours prononcé à la fac est déjà sur toutes les lèvres, et il a droit même à des youyous. Le courant est passé. On est loin de l'accueil réservé à Chirac, certes, mais force est de reconnaître qu'ici on entend point de “Donnez-nous le visa”, mais des “Vive l'Algérie, vive la France”. Ce n'est pas l'accueil de désespoir réservé à un Chirac potentiel donneur de visas, mais un “marhaba” à un Sarkozy promoteur de nouvelles relations basées sur l'échange, la diversité et l'union pour le progrès de tous et sans extrémisme. Sarko-Boutef seront-ils en mesure de répondre à ce vœu comme le firent de Gaulle et Andenauer, il y a 60 ans de cela ? Annoncé comme une visite de tous les dangers, ce déplacement à Constantine fut celui de l'espoir. Mourad Kezzar