Selon la première version officielle recueillie sur les lieux, il s'agit d'un attentat kamikaze perpétré à l'aide d'un véhicule de marque Peugeot Partner. Celui-ci, qui a tenté de dépasser le bus des étudiants pour rentrer de plein fouet au Conseil constitutionnel, a explosé à l'entrée de l'édifice. 5 policiers, dont 4 jeunes recrues, et une douzaine d'étudiants ont trouvé la mort sur le champ. Résidence des magistrats de Ben Aknoun. 9 heures tapantes. La salle de conférences qui abrite en ce 11 décembre, une date historique et commémorative pour l'Algérie indépendante, un séminaire sur “la justice des mineurs”, est bourrée de monde. Les intervenants, tour à tour, abordent un sujet sensible comme celui de la prise en charge de l'enfant délinquant souvent victime des manipulations et en proie aux tentations terroristes qui en font un kamikaze. 9 heures 45. Une explosion assourdissante déchire le silence de la résidence des magistrats. Les séminaristes, comme nous les journalistes présents sur les lieux, crions d'une seule voix : “C'est un séisme !” Mais c'était compter sans les hordes criminelles qui viennent de faire exploser une bombe de forte intensité à l'entrée secondaire du Conseil constitutionnel. Pris de panique, nous sommes sortis en courant de la salle de conférences, volée en éclat de fond en comble. À l'extérieur, le décor est sinistre. Des images qui nous rappellent l'attentat du boulevard Amirouche. “C'est une bombe ! C'est une bombe !” crie une consœur, dont les mains sont maculées de sang. Une autre journaliste ne peut plus marcher. Simple entorse ou grave fracture au genou ? Elle “s'autoévacue” courageusement vers la polyclinique près du lieu de l'attentat. Le long boulevard, qui abrite la Cour suprême, le Conseil constitutionnel, la résidence des magistrats, l'Institut supérieur de la magistrature, le centre commercial, le Haut-Conseil islamique, l'APW d'Alger et plusieurs commerces, est complètement recouvert de débris de verre et de projectiles de l'engin mortel. Un bus d'étudiants, bourré de jeunes universitaires, est sérieusement touché et pulvérisé par la forte déflagration. Sur les lieux, on nous apprend que 12 étudiants sont morts sur le coup. Le chauffeur, couvert de sang de la tête aux pieds, est coincé sur son siège. Il se bat seul contre la mort. Un policier en faction gît à même le sol. Il perd connaissance. Il est immédiatement évacué vers l'hôpital. Un motocycliste est pulvérisé à une centaine de mètres. Un citoyen est également tué le champ. Sur le lieu de l'attentat, l'hécatombe Nous avançons prudemment vers le lieu de l'attentat. “La bombe a explosé à l'intérieur du bus des étudiants”, crie une magistrate totalement choquée. Mais ce n'est qu'arrivé sur le lieu du sinistre que nous découvrons l'hécatombe. La bombe qui vient d'exploser à l'entrée du Conseil constitutionnel, un autre symbole de l'Etat, flambant neuf, est enfouie dans un véhicule de tourisme. Premier constat : la bombe a causé un cratère de près de 4 mètres de diamètre. Le véhicule qui a servi à l'attentat est méconnaissable. Il ne reste de la voiture que la pièce “lourde”. La façade du siège du Conseil constitutionnel est complètement endommagée. Tout est arraché par l'engin explosif. Personne n'est sorti indemne de l'intérieur ! “Tout le monde est blessé et il y a beaucoup de morts, on ne sait pas combien, qui sont coincés dans les étages inférieurs du siège”, nous dira un policier qui nous apprend qu'une dizaine de morts est transférée vers l'hôpital. Sans compter les sept corps inanimés couverts avec des tissus de fortune sur ce chic boulevard. Les murs comme la chaussée sont maculés du sang des victimes de cet ignoble attentat. Toutes les infrastructures se trouvant sur ce long boulevard, en sens unique depuis l'entrée en vigueur du nouveau plan de circulation d'Alger, sont sérieusement touchées. Les vitres du CEM Chakib-Arslane, se trouvant au chemin Makley, à 150 mètres à vol d'oiseau, sont arrachées par le puissant souffle de la bombe. Des dizaines d'élèves sont sérieusement blessés par des éclats de verre. Ils sont évacués d'urgence à la seule polyclinique de Ben Aknoun. Une polyclinique transformée, l'espace, d'un attentat odieux, en centre de “chirurgie de guerre” où tout le personnel est mobilisé pour apporter les premiers soins. Les services de sécurité arrivent en force. Ils bouclent toutes les artères de Ben Aknoun. Les éléments de la Protection civile et les ambulances inondent ce boulevard transformé en un véritable théâtre de barbarie. Tous les hôpitaux des hauteurs d'Alger accueillent, en cette matinée macabre, les premiers blessés, mais aussi les premières dépouilles mortelles. Une vieille dame, la soixantaine, informée du drame, arrive tout essoufflée. Son fils travaille au Conseil constitutionnel. Les officiels arrivent ébahis 10h05. Le ministre d'Etat, ministre de l'Intérieur, Noureddine Yazid Zerhouni, arrive à Ben Aknoun. La mine défaite, il se rend d'abord sur le lieu de l'attentat pour s'enquérir de l'état des victimes. L'heure n'est plus aux déclarations. “Le bilan est très élevé”, s'est-il limité d'annoncer à la presse qui insistait pour lui arracher une première impression à chaud. Le patron de la Centrale syndicale, Abdelmadjid Sidi-Saïd, s'est également déplacé sur les lieux. Point de déclaration, si ce n'est une condamnation ferme et énergique de cet attentat. Le ministre de la Solidarité nationale, Djamal Ould-Abbès, à l'instar des officiels ébahis par cet attentat qui rappelle aux Algériens un certain 11 avril, découvre les morts. Il est allé jusqu'à soulever le drap avec lequel le défunt motocycliste est couvert. Ould-Abbès parcourt tout le long du boulevard pour prendre le pouls et s'emploie à mobiliser tous les moyens de son département pour secourir les victimes. Interdites d'accès au lieu de l'attentat, les dizaines de journalistes et de photographes se limitent à s'informer auprès des policiers et des gendarmes. Au même moment, les éléments de la Police scientifique effectuent les premiers prélèvements des débris et des projectiles et cherchent les indices avant de s'assurer s'il ne s'agit pas d'un attentat kamikaze. Ce n'est que vers 10h30, que nous, journalistes, touchés par les débris de verre et témoins d'un terrible attentat — un attentat de plus —, nous sommes rendus à la polyclinique pour recevoir les soins nécessaires. FARID BELGACEM