“Al-Qabla il ne la connaissait pas. Et il avait été emprisonné à plusieurs reprises. C'était un drogué notoire. S'il a été recruté ça ne pouvait être qu'en prison”. C'est la phrase que nous répétaient plusieurs jeunes que nous avons rencontrés à Boumaâza, quartier se trouvant à Oued- Ouchayah où a grandi Larbi Charef, le kamikaze qui s'est fait exploser à Ben-Aknoun. Pour eux, c'était une grande surprise lorsqu'ils avaient vu la photo de Larbi sur les colonnes de la presse jeudi matin. “Je le connaissais bien, il était avec moi en prison” s'écrit un jeune d'une trentaine d'années au milieu d'un groupe de personnes. Il se taira d'un coup après nous avoir remarqué et changera de sujet de discussion. D'ailleurs, il ne tarda pas à quitter la cafétéria. Le plus prolixe parmi tous ceux qu'on a rencontrés dans le “secteur” était N. la quarantaine, il était catégorique : “Je n'ai rien à craindre en vous racontant. On n'est plus dans les années 90.” Et il commence à déballer tout ce qu'il savait sur “hadak” : “Il est beaucoup plus jeune que moi mais je connais tout le monde ici. Sa famille a quitté Boumaâza il y a quelque temps déjà mais il était connu ici. Connu surtout pour ses frasques. Une chose est sûre c'est qu'il n'avait aucune relation avec la religion ou les fréros. Il était dans les vaps tout le temps. Il a été interpellé à plusieurs reprises pour des vols”. Il a été très surpris lorsqu'on l'a informé qu'il avait eu le bac en prison : “Aya khalina ? d'ailleurs et après ! Viens le soir, ou tchouf laâdjab. Des jeunes avec le doctorat en train de se droguer devant les policiers. Gaâtaâ rasshoum kho. À notre époque les études ne veulent rien dire.” Pour son incarcération en 2004, il nous dira qu'il n'a pas tous les détails : “Je sais que c'était pour une affaire de soutien au terrorisme. Il travaillait dans une pharmacie et il leur fournissait des médicaments. Je ne sais pas plus que ça. Toutefois, tout le monde dit ici que c'est en prison li khaltoulou rassou. Lorsqu'il en est sorti deux ans après, il n'était plus le même.” Concernant le quartier de Boumaâza, notre interlocuteur se veut catégorique :“ça a beaucoup changé par rapport à 92 ou 93. Il n' y a ni terroristes ni intégristes déclarés là-bas, tous ont déménagé. Ceux qui y habitent sont pour la plupart des familles de policiers”. Sur place nous nous sommes déplacés devant l'ancienne demeure de Larbi Charef. Un jeune qu'on a rencontré à une dizaine de mètres de là-bas, nous informe “ya kho ils ne sont plus là. Ça fait longtemps qu'ils ont déménagé et ils ne reste que les oncles”. Nous nous sommes approchés de lui et on lui a demandé des renseignements sur le kamikaze : “Comme tout le monde, j'ai vu sa photo sur les journaux hier. Ça fait longtemps qu'on ne l'a pas vu dans le quartier et je n'ai aucun avis sur lui. Je ne le connaissais pas bien.” Commentant le “geste” de son ex-voisin, il s'est voulu fataliste : “Koule wahad wache aktablou rabbi” (chacun ce que Dieu lui a réservé). Hier vendredi, Oued-Ouchayah et Bachdjarah paraissaient totalement déconnectés avec ce qui s'est passé juste trois jours avant. Sous un ciel bleu, les ruelles étaient bondées de monde. À certains endroits, surtout à une cinquante de mètres de l'ex-demeure de la famille du kamikaze, il y avait plus de moutons que de personnes. L'ambiance était plus festive qu'autre chose. Hommes, femmes, enfants, vieilles et vieillards, tous paraissaient absorbés par les préparatifs de l'Aïd. On entendait plus “khrouf hada ?” qu'autre chose. Renseignements pris, il s'est avéré que les prix des moutons sont bas sur place de deux millions. “Khayare wakhtare” nous interpelle un vendeur qui nous dira qu'il est venu de Ksar Al- Boukhari. Au moment de la prière du vendredi, on a remarqué que la plupart des hommes prenaient la direction d'une mosquée en “évitant” une autre pourtant sur leur chemin. Cette dernière, la mosquée Al-Badr, se trouve juste à une dizaine de mètres en bas de l'ex-maison du kamikaze. Selon certains sur place, elle est “évitée” parce qu'elle est considérée comme “taâ al houkouma”. La plus “prisée“, Al- Fath, serait connue pour avoir un imam “macha Allah” comme nous l'a affirmé un des habitués sans nous donner plus de précisions. Pour la petite histoire, la khotba de l'imam de Al-Badr était axée sur l'ouIe du musulman “qui en Islam est plus importante que la vue”. Il argumentera sa “thèse” par le fait que c'est par les oreilles que nos jeunes sont embrigadés. Il appellera à l'urgence de n'écouter que les ulémas, “nos jeunes ne doivent pas se fier à n'importe quel discours religieux. Les ulémas sont les khalifas d'Allah sur terre”. Avant de quitter les lieux, deux images nous ont frappés tout de même. Juste après l'accomplissement de la djoumouâ un jeune avec un kamis blanc, un turban, criait, très fort : “kayane al yatama li malahqouche”, (il y a beaucoup d'orphelins qui n' y n'arrivent pas). L'autre image, il s'agit plutôt d'une déclaration faite par un jeune qui paraissait ne pas dépasser les 18 ans et qui nous a interpellés : “Qalouli awlade al houma que le vieux qui s'est fait exploser à Hydra, hadak li yaskoune fi Boumaâza se connaissaient depuis des années déjà.” Salim KOUDIL