Al-Qaïda dément l'accusation de Musharraf qui lui a fait porter le chapeau. Les proches de Benazir Bhutto maintiennent qu'elle a reçu deux balles dans la tête alors que le ministre de l'Intérieur a parlé de choc suite à l'explosion du kamikaze, pour accuser les services pakistanais. Un autre opposant d'envergure, Nawaz Sharif, pointe du doigt le président pakistanais. Le Pakistan est littéralement sur un volcan après l'assassinat, dans un attentat suicide, de Benazir Bhutto. L'incertitude politique de ce pays s'est aggravée avec une controverse très animée sur les circonstances de la mort de celle qui était vraiment la rivale du président Musharraf. Alors que le pays se tient le ventre craignant de nouvelles manifestations et que la confusion régnait aussi sur l'avenir des élections législatives et provinciales qui doivent avoir lieu le 8 janvier, le ministre pakistanais de l'Intérieur devait jeter l'huile sur le feu en donnant une nouvelle version du décès de Benazir Bhutto avec la diffusion d'une vidéo de ses derniers instants. Mme Bhutto enterrée près de son père, Premier ministre avant elle, assassiné par le général Zia qui a fait très bon ménage avec l'islamisme radical et sous l'œil bienveillant des Etats-Unis, serait, selon cette version, morte des suites d'une blessure reçue au moment de l'attentat. Pour le ministre, citant le rapport des médecins légistes, il n'y a ni balles ni éclats de métal et Mme Bhutto serait morte par un choc à la tête après avoir heurté le levier du toit ouvrant de sa voiture en tentant d'éviter les balles de son agresseur. Cette thèse a été immédiatement contredite par la porte-parole de Mme Bhutto, qui parle de deux balles l'ayant frappée, se fondant sur le témoignage des personnes qui avaient procédé à sa toilette avant de l'enterrement. Les responsables du Parti du peuple pakistanais que dirigeait Mme Bhutto accusent carrément le pouvoir de l'avoir tuée, au moins indirectement en lui refusant une sécurité appropriée alors qu'elle faisait l'objet de menaces précises. Elle avait déjà été la cible, le 18 octobre, d'un double attentat suicide à Karachi, le plus meurtrier de l'histoire du pays, avec 139 morts. Et comme pour exacerber la controverse, le ministère de l'Intérieur ne s'est pas empêché de clamer de nouveau que de très sérieuses menaces pèsent encore sur plusieurs politiciens pakistanais. Son porte-parole, le général Javed Cheema, qui a assuré avoir transmis ces informations aux personnes concernées, a même cité les prochaines cibles d'attentats : Nawaz Sharif, ainsi que le leader islamiste Maulana Fazlur Rehman et les anciens ministres Sheikh Rashid et Aftab Sherpao. Des opposants à Musharraf dont, contrairement à Mme Bhutto, ils exigent le départ. À la controverse sur les circonstances de la mort de Mme Bhutto, s'ajoute celle du commanditaire de l'attentat suicide. Le pouvoir affirme avoir des preuves sur la responsabilité d'Al-Qaïda, d'où, affirme-t-il, ses alertes à des personnalités de l'opposition. Mais, Baïtullah Mehsud, chef présumé d'Al-Qaïda au Pakistan, a démenti être à l'origine de l'attentat. Pour lui, c'est “un complot du gouvernement, de l'armée et des services de renseignements”. Une thèse que partage entièrement Nawaz Sharif, un ex-Premier ministre que Musharraf avait arrêté après son coup d'Etat et qu'il a exilé en Arabie Saoudite jusqu'en novembre dernier, permettant à son parti de se présenter aux législatives de janvier mais maintenant l'inéligibilité qui pèse sur lui. Le leader islamiste Maulana est sur la même longueur d'ondes que Sharif qui a décidé, au deuxième jour de l'enterrement de Mme Bhutto, de boycotter les élections, estimant que le pouvoir de Musharraf est près de tomber ! Contrairement à ces deux personnalités de tendance islamiste, qui préservent l'armée, notamment son épine dorsale, ses services de renseignement (ISI) pour ne s'attaquer qu'à Musharraf, dans le parti de Mme Bhutto, c'est plutôt le contraire. D'ailleurs, elle-même devait, au lendemain de la première attaque à la voiture piégée à laquelle elle avait miraculeusement échappé, pointer du doigt les services de renseignement rappelant le rôle qu'ils ont joué dans l'islamisation, version radicale, du Pakistan et en Afghanistan via les talibans que l'ISI avait couvé dans les zones tribales frontalières entre les deux pays, grâce aux pétrodollars de l'Arabie Saoudite et avec la collaboration active des Etats-Unis sous prétexte de guerre contre l'ex-URSS et les nationalistes arabo-musulmans. À l'époque, l'ISI était considéré comme sous-traitant de la CIA dans la propagation de l'islamisme politique. Les Etats-Unis, dont Islamabad est un allié-clé dans leur guerre mondiale contre le terrorisme, ont perdu leur carte maîtresse au Pakistan avec l'assassinat de Benazir Bhutto. L'administration Bush, qui plaidait depuis plusieurs mois en faveur d'un partage du pouvoir à Islamabad, afin de donner une nouvelle légitimité au régime impopulaire du président pakistanais, se voit contrainte de continuer à parier sur Musharraf dans la guerre contre le terrorisme et de le soutenir “inconditionnellement” cette fois. Amin Fahim, numéro deux du Parti du peuple du Pakistan de Mme Bhutto, est sollicité par Washington pour reprendre le flambeau et le processus mais, il n'a ni son charisme ni sa force. Les analystes américains redoutant sérieusement une montée de l'extrémisme et du séparatisme au Pakistan, exhortent la Maison-Blanche, les départements d'Etat et de la Défense, à soutenir Musharraf, même s'il n'est pas parfait et même si son pays a échoué à faire beaucoup de ce qui lui était demandé en termes d'ouvertures. C'est un partenaire très utile, ont-ils expliqué, contrairement à la presse américaine qui a appelé à un changement de stratégie. La politique américaine doit être maintenant dirigée vers la construction d'une démocratie solide au Pakistan, ayant le respect et le soutien du peuple et la volonté et les moyens de combattre Al-Qaïda et les talibans, a écrit le New York Times dans un éditorial lâchant que le temps où Washington misait sur une ou deux personnalités dans ce pays doit prendre fin. Le Washington Post va plus loin jugeant que les élections et le rétablissement de la démocratie sont le meilleur moyen pour la majorité centriste du Pakistan de s'allier contre les forces de l'extrémisme qui ont remporté avec l'assassinat de Bhutto une victoire méprisable mais néanmoins importante. D. Bouatta