Le rallye Lisbonne-Dakar annulé, pour la première fois de son histoire pour des raisons sécuritaires. L'argument peut être acceptable, du moins si l'on admet que la mort d'un seul coureur dans ce rallye est toujours une mort de trop. Surtout après l'assassinat des quatre touristes français à Aleg, dans le sud de la Mauritanie, le 24 décembre dernier, et l'attaque contre des soldats mauritaniens deux jours plus tard au nord est de Nouakchott qui a coûté la vie à quatre d'entre eux. Cependant, il y a tout de même lieu de se poser des questions autour de cet empressement aux allures suspectes de la France à effacer d'un trait un rallye d'une telle notoriété, avec tout ce qu'il suppose dans sa préparation, de moyens humains, matériels et financiers. D'autant mieux que les autorités françaises ont cédé trop facilement aux menaces que fait peser al-Qaïda du Maghreb sur ce raid en Mauritanie. Nombre d'observateurs sont tombés des nues quand la décision d'annulation a été annoncée officiellement à la veille de son lancement, par les responsables de l'Amaury Sport Organisation (ASO). C'est dire que personne ne s'attendait à une telle extrémité. N'est-ce pas que d'autres options s'offraient aux organisateurs ? Des aménagements de parcours par exemple, comme cela a été le cas en 2007, ou encore la mise en place de ponts aériens comme ce fut le cas durant l'édition de 2006. Il est vrai que le plus clair du déroulement de ce rallye comprend le territoire mauritanien, mais d'autres options que celle de l'annulation de ce raid auraient été moins douloureuses. Et à ce que l'on sache, la menace terroriste dans la région du Sahel n'est pas une nouveauté ou à tout le moins ne peut justifier à elle seule l'annulation d'un rendez-vous sportif d'une telle envergure. C'est comme qui dirait annuler le tour de France en raison de menaces d'attentats terroristes. Ceci en ayant à l'esprit que Al-Qaïda représente un danger partout dans la planète et pas seulement en Mauritanie. Autant dire en un mot comme en mille que cette décision semble disproportionnée et peut suggérer donc des dessous politiques dont le sécuritaire n'est que le prétexte. La menace brandie par al-Qaïda au Maghreb aurait dû appeler une autre démarche de la France, dès lors que ce pays s'est toujours prévalu d'être en première ligne de la lutte internationale contre le terrorisme. N'est-ce pas que l'annulation du rallye risque d'offrir une victoire médiatique à l'organisation de Ben Laden et Al-Zawahiri que ne saurait peut-être procurer le plus spectaculaire des attentats kamikazes. En effet, cette décision peut aisément être assimilée à une abdication pure et simple devant le terrorisme. Pourtant, ce ne sont pas les assurances qui ont manqué de la part des autorités mauritaniennes. Ces dernières étaient prêtes à mobiliser toute l'armée pour assurer la sécurité des compétiteurs. Les responsables français ne peuvent pas ignorer les prolongements dangereux d'une telle décision surtout si la propagande terroriste s'en empare aux fins de recrutement dans la région. Et pour cause, une organisation capable de faire reculer une puissance comme la France ne peut bénéficier que plus de crédit auprès des jeunes Algériens, Mauritaniens, Sénégalais ou Marocains. Et si la France a décidé de courir un tel risque, c'est que par ailleurs le gain est plus substantiel. Le ministre des Affaires étrangères français, Bernard Kouchner, invité à commenter cette décision d'annulation, dédouanait l'autorité française en éloignant soigneusement le soupçon des véritables motifs qui ont poussé la France officielle à ruer dans les brancards. “Je sais qu'il y a des enjeux économiques mais, honnêtement, la prudence commandait de tenir le plus grand compte des risques”, répondait Kouchner à une question sur le manque à gagner et les pertes qui résultent de l'annulation du rallye. Ce que ne dit pas le ministre des Affaires étrangères français, ce sont les enjeux géostratégiques que représente la région du Sahel pour la France et la rude bataille que cette puissance mène contre l'hégémonisme américain dans cette région du globe sortie de l'anonymat grâce aux richesses de son sous-sol et son potentiel énergétique. Qu'on se le dise, le rallye Paris-Dakar reste un argument de poids pour la France et se décline toujours sur un ton foncièrement politique quand il s'agit de défendre des intérêts géostratégiques. Cette logique impulsée par les Français à un événement sportif, l'Algérie l'a découverte à ses dépens en 1993 quand le rallye inscrivait sur son fronton Paris-Alger-Dakar. En ces moments, la situation sécuritaire en Algérie ne justifiait pas pleinement la décision d'annulation de l'étape algérienne. La France avait décidé de mettre notre pays sous embargo, de l'isoler sur la scène internationale, pour “avoir interrompu le processus démocratique”. C'était l'époque où du côté officiel français, on voulait coûte que coûte faire admettre à la communauté internationale que “l'Algérie vivait en pleine guerre civile”. La notoriété du rallye Paris-Alger-Dakar avait fait le reste. Aujourd'hui, c'est le même scénario revu et corrigé. Zahir Benmostepha