Le ministre de l'Intérieur français a déposé un projet de loi particulièrement dur destiné à “stopper l'immigration clandestine”. Il est venu avec la grande promesse de mettre un terme à l'insécurité et il a fini par associer sécurité et immigration. Nicolas Sarkozy, ministre de l'Intérieur et l'homme le plus en vue du gouvernement de M. Raffarin, ne perd pas son temps. Presque un an après son installation à la tête du ministère de l'Intérieur, l'homme a déjà à son actif un projet de loi sur l'immigration, approuvé avant-hier par le Conseil des ministres. Le texte en question durcit les conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France. Et pour avoir répété sans cesse qu'il ne croyait guère à l'idée “zéro immigration”, approche insensée, selon lui, Nicolas Sarkozy ne semble pas, pour le moment, provoquer une quelconque levée de boucliers sur la scène politique française. L'homme a su, avec pragmatisme, neutraliser les critiques de la gauche, dans sa diversité. Et pour ce faire, il a emballé le tout en mettant en avant la suppression de la double peine. Dans son hypocrisie chronique, la gauche sous Jospin n'a pas osé s'attaquer à cette disposition humiliante. Et rien que pour cela, Nicolas Sarkozy sait qu'il a gagné une bataille par anticipation. Il faut dire que dans le projet approuvé par le Conseil des ministres, la suppression de la double peine constitue le seul point trouvant grâce auprès des associations de défense des étrangers et immigrés. Car, pour le reste, les choses, beaucoup de choses, vont changer. De la demande de visa à l'obtention d'un titre de séjour sur le sol français, les prétendants à l'immigration vont devoir prendre leur mal en patience. Que ce soit pour les “entrants” ou pour ceux vivant déjà sur le territoire français, soit en situation irrégulière ou administrativement “acceptable”, tout deviendra désormais compliqué. Ce “tout” donne déjà des frayeurs aux différentes communautés d'immigrés, notamment africaine et maghrébine. Car le ton était donné, bien avant, avec le retour à la politique des “charters” depuis le début de l'année. Elles ont été ainsi plus de 7 000 personnes à être reconduites à leur pays d'origine au cours des quatre premiers mois de l'année. Mais avec ce projet de loi, le dispositif Sarkozy sera désormais complet. C'est dire que parmi les sans-papiers qui continuent à vivre clandestinement, nombreux sont ceux qui vont encore buter sur les nouvelles dispositions. Car même retouchée par le Conseil d'Etat avant son approbation par le Conseil des ministres, la loi dans sa première mouture n'a pas perdu son caractère contraignant dans ses points clés. Visa : constituant un premier verrou à l'entrée sur le territoire, le visa de tourisme délivré aux étrangers extra-Union européenne comportera désormais les empreintes digitales. Un relevé des empreintes avec constitution d'un fichier sera aussi pratiqué sur les étrangers contrôlés à la frontière et dépourvus de papiers en règle, comme pour tout étranger demandant un titre de séjour. Encore faut-il avoir uns réponse favorable au moment de la demande de visa auprès des consulats et ambassades de France à l'étranger. Les quotas ne cessent de diminuer. Attestation d'hébergement : document principal pour l'obtention d'un visa, l'attestation d'hébergement fera désormais l'objet d'un contrôle plus strict. Les maires pourront ainsi refuser de valider les attestations en cas de suspicion de “fraude” ou si les conditions d'un hébergement ne sont pas remplies. Bien sûr, la “suspicion de fraude” comme motif de refus peut ouvrir aux maires les portes grandes pour rejeter toute attestation, sans que la décision soit fondée. La disposition fait l'objet de critiques. Mariage : le principe de la loi est de lutter contre l'“utilisation frauduleuse du mariage”. Le maire pourra à ce titre demander ses papiers à l'étranger et surseoir à la célébration pendant un mois en cas de séjour irrégulier. Durant ce délai renouvelable, le sans-papiers sera convoqué par la préfecture, qui pourrait saisir le procureur s'il “existe des indices sérieux” de suspicion du mariage blanc. Et la durée de vie nécessaire désormais à l'époux du conjoint français pour obtenir une carte de résidence de dix ans sera de deux ans et non plus d'un an. La mesure vise principalement les sans-papiers. Elle remet en cause le droit fondamental du mariage. Elle pourrait enfin, selon son application, donner lieu à des dérives, les préfectures ayant désormais le droit de soupçonner tout mariage, même non-complaisant. Séjour : les délais d'obtention de la carte de séjour pour les étrangers possédant un titre temporaire d'un an passent de trois à cinq ans de résidence régulière. Ce titre ne sera délivré que si l'étranger fait preuve de son “intégration dans la société française”. Exigée comme condition, l'“intégration” risque de ce fait de devenir un obstacle. Car rien n'est dit à propos des étrangers déjà intégrés avant la durée exigée. Ils n'auront pas droit à un allégement de la mesure. Ceci en attendant que soient fixés les critères mêmes de l'intégration afin d'éviter toute mauvaise interprétation. Le même principe est appliqué au regroupement familial. Les étrangers entrés au titre de regroupement familial n'auront plus le droit à une carte de résidence de façon automatique. C'est seulement au bout de cinq ans qu'ils pourront y prétendre, à condition de présenter une intégration “satisfaisante”. Là aussi, l'intégration “satisfaisante” est évoquée pour justifier le délai de 5 ans. Est-il dit qu'un étranger ne puisse s'intégrer qu'au bout de cinq ans ? Enfin, la double peine : elle concerne les étrangers résidant en France et ayant été condamnés à des peines de prison. Auparavant, la loi sanctionnait d'expulsion et d'interdiction du territoire français tout étranger, quelles que soient ses attaches en France, ayant effectué un “séjour” en prison. Le projet Sarkozy, sans supprimer complètement cette peine, institue quatre catégories d'étrangers pour lesquelles la protection contre l'expulsion est quasi totale. Il s'agit des étrangers nés ou entrés en France à l'âge de 13 ans, les conjoints de Français ou de résidents, les parents d'enfant français et ceux résidant en France depuis plus de 20 ans. En sont exclus les auteurs d'acte de terrorisme ou d'atteinte aux intérêts fondamentaux de l'Etat. Les mesures d'expulsion seront réexaminées tous les cinq ans et les assignés à résidence autorisés à travailler. C'est la disposition qui fait vendre le projet Sarkozy. Un projet que son initiateur situe entre le discours de l'extrême droite et celui de l'extrême gauche. En somme, la vision d'un républicain modéré, comme le ministre de l'Intérieur aime à le répéter. C'est la doctrine Sarkozy concernant l'immigration, en attendant que la France réfléchisse sur les “immigrés” qu'elle souhaite accueillir. Car, le texte qui prône la diversité ne dit mot sur les besoins de la France en terme d'apport d'immigration. C'est pour cela que le projet Sarkozy est perçu comme étant un texte combattant l'immigration sous le couvert de lutte contre la clandestinité. H. B.