Finis les coups de gueule. Les temps ont changé, le discours du président Bouteflika aussi. En mauvaise posture vis-à-vis du monde du travail depuis longtemps déjà, le président de la République n'a pas raté, comme il fallait s'y attendre, l'occasion de la fête des travailleurs pour tenter de reprendre langue avec la Centrale syndicale via un message “sympathique”. Sympathique, parce que Bouteflika ne porte visiblement pas l'organisation de Sidi Saïd dans son cœur. Il lui a toujours tourné le dos, considérant, sans doute, qu'elle l'empêche d'aller au bout de son projet économique. Un projet que l'UGTA assimile présentement à un bradage des ressources nationales et du patrimoine public, par l'entremise d'une privatisation tous azimuts prônée par le duo Temmar-Khelil, ennemi public numéro un de la Centrale. Mais précampagne pour la présidentielle oblige, le président Bouteflika enterre subitement la hache de guerre et fait montre d'une compréhension tout aussi surprenante des préoccupations du monde des travailleurs. “Les problèmes nombreux, délicats et variés induits par la transition économique, nécessitent un dialogue social ouvert et responsable.” On croit vraiment rêver, en entendant ces propos du chef de l'Etat destinés au secrétaire général de l'UGTA, à l'occasion du 1er mai, et qui tranchent radicalement avec la politique “de cavalier seul” suivie par ses ministres en charge des affaires économiques. Ce dialogue social, qui était et qui demeure la principale revendication de la Centrale syndicale — même si cette dernière a beaucoup de choses à se reprocher —, reprend maintenant son droit de cité dans le discours officiel. L'UGTA redevient, elle aussi, fréquentable aux yeux de Bouteflika qui, jusque-là, ne lui a réservé aucune voix au chapitre. Plus volontariste que jamais, le Président déclare “toute sa détermination à encourager et à favoriser” ce dialogue qui doit accompagner les “changements sociaux et organiques indispensables”. Un dialogue qui était justement le grand absent dans les rapports entre le gouvernement et le partenaire social depuis au moins une année, laissant la place plutôt à un monologue dont les acteurs étaient tantôt Khelil, tantôt Temmar. “C'est ensemble que nous devons remettre en place les structures de notre société et les consolider en tenant compte à la fois du poids de notre histoire et de nos traditions ainsi que des nécessités de la vie moderne et de ses exigences.” C'est là une offre de service qui ne souffre pas l'ombre d'un doute. Sachant que la guerre contre l'UGTA n'est pas tout à fait recommandable à la veille d'une aussi importante échéance électorale que la présidentielle, Bouteflika jette son hameçon dans l'espoir de récupérer la puissante organisation qui se présente comme une extraordinaire force de mobilisation et un réservoir conséquent de voix. Finis donc les coups de gueule, les déclarations au vitriol contre la Centrale et la fameuse phrase assassine “tout est privatisable”. Les temps ont changé, les politiques aussi, semble suggérer Bouteflika à Sidi Saïd. Et au-delà de l'hommage de circonstance rendu au monde du travail qui a fait face à la crise économique avec “courage et dignité et un sens élevé de la responsabilité”, Bouteflika a fait les yeux doux à l'UGTA, jadis maudite, “qui fait partie des institutions qui ont contribué à forger l'histoire de l'Algérie et qui, aujourd'hui, s'associent à nos efforts pour la construction d'une société fière de son passé et tournée vers un avenir de paix, de solidarité et de développement”. La Centrale syndicale l'entendra-t-elle de cette oreille ? Sidi Saïd qui commentait ce discours jeudi a dit : “C'est très important de reconnaître mais nous attendons les actes.” Comprendre : l'UGTA va “vendre cher” comme le dit l'adage bien de chez nous. H. M.