Le débat politique ces derniers mois ne porte que sur les modes d'emploi des formules d'organisation de la présidence à vie selon un scénario qui aurait gagné à faire l'économie d'autant de débauche d'énergie considérant que nous sommes le point de confluence de deux mondes qui ont adopté ce mode d'exercice du pouvoir il y a des lustres : l'Afrique et le monde arabe. Que l'on regarde alors l'actualité d'un œil détaché, averti ou intéressé ne dispense pas de maintenir un niveau de responsabilité et une honnêteté intellectuelle sans lesquels tout débat devient un exercice stérile. Il en est ainsi des déclarations officielles non démenties sur de prétendues pressions étrangères dans la limitation des mandats dans la Constitution de novembre 1996. Cette disposition — la première dans l'histoire de l'Algérie indépendante — est le résultat d'une large consultation strictement nationale de toute la classe politique, société civile naissante, institutions de l'Etat et de la transition comme le Conseil national de transition (CNT) qui ont pu débattre librement, au siège de la présidence de la République, avec le président Liamine Zeroual lui-même partisan déclaré d'un mandat unique de 7 ans. Ces mêmes acteurs encore au pouvoir, à sa périphérie ou en dehors peuvent encore témoigner pour rétablir la vérité. Par ailleurs, c'est une tradition tellement dominante dans le monde que beaucoup de constitutions n'éprouvent même pas le besoin de la mentionner mais s'attachent à la respecter scrupuleusement. Dans l'esprit des promoteurs de ce projet, il fallait également tenir compte de notre propre réalité institutionnelle et observer les expériences de transition démocratique réussies comme celle d'une Malaisie musulmane prospère et tolérante ou encore celles de pays ayant vécu sous des régimes autoritaristes tels que la Turquie, l'Espagne, le Portugal et la Corée du Sud dans lesquels des armées hostiles aux réformes sont devenues les garantes de la protection des instruments de la transition. On n'avait pas, il est clair, cherché des références dans les expériences des Etats arabes considérant que l'Algérie avait l'ambition de prétendre à mieux. S'il est vrai qu'il faut toujours respecter les autres, il est tout aussi vrai que chaque pays a son parcours historique et chacun des gouvernants est comptable devant son propre peuple. La Constitution de 1996 visait avant tout à mettre en place des mesures de confiance, le cadre et les institutions comme préalable à la véritable normalisation de la situation. C'est à ce titre que l'année 1997 avait constitué une étape qualitative dans ce processus par la large adhésion à une sorte de pacte de gouvernabilité et l'intégration dans la stratégie de sortie de crise de toutes les forces politiques qui ont rejeté la violence, condition à laquelle n'ont pas souscrit les leaders de l'ex-Fis dans les pourparlers avec de très hauts responsables de la hiérarchie militaire d'abord et civile ensuite. Il n'était pas négligeable de retrouver des partis de Sant'Egidio (FLN, FFS, Ennahda, PT, MDA) dans l'Assemblée élue en 1997. Ceci a grandement conforté l'incontournable nécessité de faire le choix d'opposer à la situation dramatique, une culture de l'unité et de l'austérité, du dialogue sans exclusive et de la magnanimité à travers la loi sur la Rahma. Cette démarche a été le tournant décisif et la clé pour surmonter les effets conjugués de la violence terroriste, des pressions étrangères — embargo sur l'armement, notamment — d'un baril à 16 dollars et du rééchelonnement du poids d'une dette extérieure trois fois supérieure aux 9 milliards USD de réserves en devises en 1998. Pour l'exemple aujourd'hui, le budget du ministère de la Solidarité nationale (650 millions de dollars soit 2,5% du budget pour 2008) — il n'est point utile de préciser sa destination dans cette conjoncture — représente à lui seul la somme des crédits alloués au ministère des Affaires étrangères de 1993 à 1999. À la question de savoir si l'Algérie à cette période avait subi des pressions, la réponse est tout naturellement oui et même au-delà de ce que peuvent imaginer ceux qui veulent délégitimer le passé pour couvrir de légitimité une régression dans la construction d'un Etat de droit. J'en citerai quelque-unes et à titre non exhaustif pour ne pas être injuste vis-à-vis de ceux qui ont contribué dans la discrétion ou l'anonymat — et ils sont les plus nombreux — à ce que l'Algérie résiste à autant d'adversité. Il s'agit de l'Union européenne par le biais de certaines déclarations volontairement ambiguës souvent pour concilier les divergences d'appréciation de ses membres, de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) par le truchement de son Parlement et également de l'Otan qui avait initié en 1994 le dialogue politique avec le Maghreb à l'exception de l'Algérie. La seule tentative d'ingérence visible à cette époque-là était représentée par la plate-forme de Sant'Egidio du 13 janvier 1995, scénario de sortie de crise élaboré dans un rare et inédit consensus entre l'Europe, les USA et un courant au sein du Vatican, proposé officiellement à l'Algérie et “vivement” recommandé à son gouvernement la veille même de la réunion de Rome. L'Union européenne avait également différé le calendrier d'ouverture des premières consultations sur l'Accord d'association qui n'ont commencé qu'en janvier 1997 — année de la conclusion de ce même accord avec la Tunisie et le Maroc — pour être interrompues 5 mois plus tard à la demande de l'Algérie en raison de la faiblesse structurelle de notre économie et des craintes du patronat algérien sur l'impact social différé — sans mise à niveau préalable des petites et moyennes entreprises — des démantèlements tarifaires accélérés. L'ONU avait enfin pris le relais en déléguant à Alger en juillet 1998 un panel de personnalités internationales indépendantes pour “réunir sur la situation en Algérie des informations permettant d'en donner une image plus claire”. Il est d'autres formes d'ingérence qui ne disent pas leur nom comme le silence complice des Etats arabes à l'exception de l'Egypte, la Tunisie et la Jordanie ou l'active sympathie des plus influents membres de l'Organisation de la conférence islamique — qui soit dit au passage ont été convertis à la raison du plus fort — après les attentats de New York, Madrid et Londres. En dépit de ces pressions multiformes, l'Algérie avait continué à soutenir les Sahraouis sans céder au chantage marocain de soutien au GIA et à défendre la cause palestinienne tout en mesurant la puissance du lobby pro-israélien aux USA et en Europe. Aujourd'hui, nous ne formons plus partie de ces pays qui ne monnayent pas leur régime contre des gestes en direction d'Israël pour avoir les faveurs de l'Occident et se prémunissent de sa redoutable machine diplomatique. Toutes ces contraintes de politique extérieure n'avaient pas altéré l'autonomie de la décision de l'Algérie en 1996, pour preuve nous avions également rejeté — considérant que les difficultés conjoncturelles n'autorisaient pas d'hypothèque sur le patrimoine minier des générations futures — les offres d'association et de partage de production des compagnies pétrolières anglo-saxonnes et européennes. Plus tard, la loi sur les hydrocarbures — la plus libérale de l'histoire de l'OPEP — votée en 2005 et amendée en 2006 fera perdre à l'Algérie sa crédibilité diplomatique et à Sonatrach pas moins de 8 milliards de dollars. L'Algérie exporte moins qu'en 1999, ses associés ont doublé leurs parts du fait de cette loi et les recettes n'ont augmenté qu'en raison du renchérissement exceptionnel du prix du pétrole. Les Algériens ont ainsi le loisir de mesurer à quel point le lobby pétrolier a pesé ainsi dans le deuxième mandat du président Bouteflika même s'il a manqué de lui organiser une seule visite officielle aux USA réclamée avec insistance depuis 7 ans. Plus récemment encore les plus fervents soutiens institutionnels à la présidence à vie ont choisi d'en faire l'annonce une heure après la fin du déjeuner officiel offert le 4 décembre dernier en l'honneur du président français Nicolas Sarkozy pour suggérer ou faire accroire aux Algériens que leur président avait reçu la bénédiction du chef de l'Etat d'une grande puissance étrangère et faire peur à on ne sait qui contre on ne sait quoi. Ils ne rendent ainsi service ni à la France qui, à raison, craint le manque de visibilité chez nous mais s'efforce de ne pas être impliquée dans nos débats internes ni aux Algériens viscéralement attachés à leur doctrine de la souveraineté. Ils comprennent difficilement que la génération qui a libéré le pays en faisant don de sa vie en soit réduite à recourir à des arbitrages de l'ancienne puissance coloniale. Il est vrai enfin qu'il est plus facile de changer de structures politiques que de culture politique car l'Algérie souffre toujours d'un surdimensionnement de la légitimité historique au détriment de celle de l'exemplarité et de la connaissance. A. R. (*) Ancien ministre et ancien ambassadeur