Gardant au secret un rapport critique de la Banque mondiale sur les risques d'une explosion sociale au Maroc, Rabat n'a pas hésité également, par le biais de son ambassadeur à Washington, à réprimander le directeur de recherche de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord de Human Rights Watch pour son communiqué sur les droits de l'Homme au Sahara occidental. Pour Mohammed VI, tous les moyens sont bons pour détourner l'attention de ce qui se passe au Maroc et dans les territoires occupés du Sahara occidental. Outre cette vaine campagne diplomatique d'envergure pour imposer le plan d'autonomie aux Sahraouis, le Makhzen n'hésite pas aussi à recourir à d'autres manœuvres pour atteindre ses objectifs. Malgré toutes les précautions pour garder ultra secret un document confidentiel de la Banque mondiale prévenant des risques d'une explosion sociale, des fuites ont néanmoins permis d'en dévoiler les grandes lignes. Pourtant, ce rapport a été discuté dans la confidentialité absolue, le 21 janvier dernier, à Rabat entre la vice-présidente de la Banque mondiale, Daniela Grassani, et de hauts responsables du gouvernement marocain. Le plus inquiétant dans ce document est l'alerte de la BM faisant état qu'en l'absence d'une accélération du rythme de croissance au Maroc, la pauvreté ne va pas reculer et les tensions sociopolitiques vont croître. Ces indiscrétions n'ont pas manqué de soulever des interrogations de la part des analystes économiques à propos de la situation socioéconomique du royaume, pour le moins critique. En ces temps difficiles avec l'envolée des prix des hydrocarbures sur les marchés mondiaux, le gouvernement marocain aura toutes les peines du monde à réaliser un taux de croissance suffisamment bon pour espérer contredire les prévisions de la Banque mondiale. En effet, les secteurs sociaux, telles l'éducation, l'agriculture, la santé et la justice nécessitant d'importants investissements, ils ne pourront pas voir leurs demandes satisfaites pour pouvoir venir à bout des problèmes qui peuvent provoquer une explosion sociale. Tout ceci conforte les conclusions de la Banque mondiale qui mettent en exergue les disparités sociales au Maroc et la nécessité d'améliorer la gouvernance. En réaction à la dénonciation des violations des droits de l'Homme au Sahara Occidental, par un communiqué du directeur de recherche de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord de Human Rights Watch, Eric Goldstein, l'ambassadeur du Maroc à Washington n'a pas hésité à le rencontrer pour lui transmettre la déception des officiels marocains. L'auteur du document, qui confirme cette rencontre, regrette que Rabat agisse de la sorte au Sahara Occidental et veuille imposer à son peuple son plan d'autonomie. Dans un entretien accordé à Q&R Les médias Pub, Eric Goldstein dira : “Le Maroc a mis l'accent sur le fait que son projet d'autonomie constitue la seule base de dialogue pour un règlement du conflit. Mais, on peut se demander si en l'absence de mécanismes institutionnels et juridiques permettant aux Sahraouis de s'exprimer librement, la proposition marocaine peut être crédible par rapport aux principes fondamentaux des droits de l'Homme.” Il a également affirmé avoir volontairement publié son communiqué pour attirer l'attention sur le manque de crédibilité de la proposition marocaine d'autonomie, en précisant que le rôle de son organisation n'est pas de juger s'il est sérieux ou non. Eric Goldstein a battu en brèche l'argument marocain affirmant que tous les Sahraouis sont favorables à l'autonomie, en indiquant : “Cette affirmation ne peut être confirmée tant qu'il y a des Sahraouis qui ne peuvent exprimer librement leurs positions et leurs idées politiques.” Il ajoute avoir bâti son opinion suite à ses nombreuses rencontres avec des hommes politiques sahraouis et le constat sur le terrain. “Des Sahraouis s'opposent au projet d'autonomie et ne peuvent s'exprimer librement sur le champ public”, dira-t-il. Voilà qui vient détruire l'argumentation marocaine quant au respect des droits de l'Homme au Sahara Occidental et à la crédibilité de son plan d'autonomie, qui est loin de convaincre les spécialistes en la matière. K. ABDELKAMEL