Bien que la crise kényane ait montré toute l'impuissance des médiations, la secrétaire d'Etat américaine est à son tour au Kenya depuis hier afin de participer aux efforts destinés à résoudre la crise qui secoue le pays depuis les élections générales contestées du 27 décembre. Condoleezza Rice a eu un accueil réservé de la part du président Kibaki, hostile à une pression occidentale pour qu'il fasse des concessions à son opposition. Les Kényans préfèrent faire confiance à Kofi Annan, mandatée par l'UA. Le déchaînement de violence qu'a connu ce pays exemplaire jusqu'ici pour sa stabilité en Afrique de l'Est, est révélateur du profond malaise qui touche de nombreux pays africains. Ces événements rappellent que la transition vers la démocratie reste difficile et fragile dans le continent, que les risques d'embrasement sont quasi permanents. D'ailleurs, plusieurs régions de l'Afrique continuent d'être traversées par des conflits. Du nord de l'Afrique (Sahara et Darfour au Soudan), en passant par la zone poudrière des Grands-Lacs (Rwanda, Burundi, Ouganda, Kenya et République démocratique du Congo), la région de la corne de l'Afrique (Somalie, Ethiopie, Erythrée), puis l'Afrique centrale (Tchad), l'Afrique de l'Ouest (côte d'Ivoire) et le Golfe de Guinée, la quasi-totalité des sous régions africaines sont le théâtre de multiples conflits. Le Kenya l'a montré, il suffirait d'un fort mécontentement généralisé pour déclencher une déflagration générale dans plusieurs Etats de l'Afrique. Certains expliquent que cette instabilité est due au caractère tribal de ces sociétés. Ce qui est faux. Pour preuve, dans plusieurs pays, le multiculturalisme cohabite dans l'harmonie. En réalité, le prétexte ethnique et identitaire, à l'instar du prétexte religieux, a de tout temps été mobilisé et attisé à des fins d'appropriation du pouvoir. Ces facteurs peuvent être des éléments aggravants d'une crise, mais pas l'élément déclencheur. Reste alors deux éléments complémentaires qui sont, par ailleurs réunis au Kenya : le partage inégal du développement et les régimes politiques pour qui le multipartisme et la démocratie ne sont que de simples faire-valoir. Dans ce contexte de fragilité, l'Afrique avec ses ressources naturelles et son marché de 800 millions de consommateurs attise également les convoitises d'acteurs internationaux. Même la violence est exploitée puisqu'elle ne profite qu'aux trafiquants d'armes et aux seigneurs de la guerre. L'élection présidentielle kényane l'illustre parfaitement. Avant l'annonce de la victoire de Kibaki, il était largement admis que son principal opposant, Odinga, allait facilement remporter les élections. Les partisans du Mouvement démocratique orange ont prétendu alors qu'il s'agissait là d'une fraude à grande échelle et le chaos s'est installé dans le pays. Une élection, qui aurait dû donner un nouveau souffle aux Kényans, a finalement produit une explosion de violence où près de 1 000 personnes ont été tuées et plus d'un demi-million déplacé. Et du coup, s'est révélé la face cachée du dynamisme économique du Kenya : la croissance n'a pas profité à tout le monde et les bidonvilles se sont révoltés. Au final, le pays a tout perdu : le tourisme qui rapporte 900 millions de dollars par an s'est effondré, l'agriculture aussi, alors qu'elle représente un quart du PIB et les services ont été paralysés alors que le Kenya est une plate-forme d'importation pour de nombreux pays voisins enclavés ou ne disposant pas d'infrastructures. La crise kényane a affecté déjà l'Ouganda, le Rwanda, le Burundi et la République démocratique du Congo. Au vu de tout cela, Kibaki s'est rendu à l'évidence et Odinga concède à être moins gourmand. La politique, c'est avant tout du compromis, n'a cessé de leur répéter l'ancien SG de l'ONU, Kofi Annan, qui a l'air d'avoir été entendu. La question aujourd'hui tourne autour du partage du pouvoir. Les Kényans attendent anxieusement de voir les deux dirigeants se serrer la main pour ne pas subir le cauchemar du Liberia, de la Sierra Leone, du Rwanda, du Congo et de l'Angola. D. B.