Les Kényans sont de nouveau rongés par la peur. La peur de nouvelles tueries pour le pouvoir dans leur pays, voire sa dislocation depuis que les divergences entre leaders politiques ont non seulement débordé dans la rue, mais aussi pris une tournure interéthnique, comme la plupart des conflits en Afrique. C'es toujours la bataille pour le pouvoir ou plus simplement les privilèges auxquels il donne accès, tel un sésame, et la tribu sert comme force d'appoint ou armée de réserve. Le Kenya, en fin de compte, n'échappe pas à cette logique meurtrière et même criminelle, et toutes les médiations n'ont pu venir à bout du bras de fer qui se prolonge depuis la proclamation des résultats de l'élection présidentielle du 27 décembre. Mais que proposent ces médiations ? Tout simplement un partage du pouvoir, ce qui veut dire une reconnaissance de l'existence de fraude, comme en parle le leader de l'opposition. Mais le pouvoir refuse de céder sur quoi que ce soit. Pourtant, la secrétaire d'Etat américaine a tapé du poing sur la table, mardi dernier, après l'échec des pourparlers entre les dirigeants kényans, les prévenant que leurs relations avec Washington sont dans la balance. « Si certains progrès ont été réalisés, je suis déçue par l'échec des dirigeants à résoudre tous les problèmes restants », a indiqué la chef de la diplomatie américaine dans un communiqué. « Il n'y a aucune excuse à un nouveau retard. Il n'y a aucune excuse à la violence et ceux qui en sont responsables doivent rendre des comptes », a-t-elle ajouté. Le communiqué très ferme de Mme Rice a été publié avant l'annonce de la suspension des pourparlers entre les négociateurs du gouvernement et de l'opposition, entamés le 29 janvier sous la supervision de Kofi Annan. Mais l'ancien secrétaire général de l'ONU, nommé médiateur par l'Union africaine (UA), avait informé la secrétaire d'Etat dès lundi soir, a précisé un porte-parole du département d'Etat, Tom Casey. M. Annan a annoncé qu'il négocierait directement avec le président Mwai Kibaki et le chef de l'opposition Raila Odinga pour accélérer le dénouement des pourparlers, qui se concentrent sur la création d'un poste de Premier ministre, jusqu'à présent inexistant au Kenya et qui devrait revenir à l'opposition. Rappelant s'être impliquée personnellement, lors d'une visite impromptue la semaine dernière, à l'occasion de la tournée en Afrique du président George W. Bush, Mme Rice a prévenu les deux parties que Washington prendrait des « mesures » si les dirigeants kényans ne se montraient pas plus raisonnables. « Je veux souligner que l'avenir de nos relations avec les deux parties et leur légitimité reposent sur leur capacité à coopérer pour parvenir à une solution politique », a-t-elle indiqué. « A cet égard, nous explorons un large éventail de mesures possibles », a-t-elle averti. « Nous tirerons nos propres conclusions sur qui est responsable de l'absence de progrès et nous prendrons les mesures nécessaires. » Elle n'a pas précisé quelles mesures Washington envisageait, mais M. Casey a rappelé que les Etats-Unis avaient averti, début février, 13 Kényans par lettre qu'ils pourraient avoir des difficultés à obtenir des visas en raison de leur implication présumée dans les récentes violences qui ont fait au total plus de 1500 morts, selon la police, et 300 000 déplacés, selon la Croix -Rouge kényane. Les personnes visées par ces mesures sont des personnalités politiques et des affaires, appartenant aussi bien au parti présidentiel qu'à l'opposition. Selon M. Casey, les Etats-Unis n'ont pas l'intention de suspendre ou limiter l'aide économique américaine au Kenya, qui est essentiellement consacrée à des programmes de lutte contre le sida et d'assistance à l'enfance. En revanche, une décision sur les interdictions de visas pourrait intervenir « prochainement », a-t-il indiqué. Il est à craindre que le Kenya ne sombre dans une spirale infernale, l'opposition ayant adressé au pouvoir un ultimatum qui devait expirer hier. Le pire n'est donc toujours pas exclu mais l'opposition a décidé de geler sa marche.