Pour cette première journée de protestation, le taux de suivi annoncé par la coordination est de 80% à travers le pays. Ni la pluie matinale, encore moins les mises en garde formulées dans le communiqué de la veille rendu public par la chefferie du gouvernement n'ont empêché la Coordination nationale des syndicats autonomes de la Fonction publique de partir en rangs serrés pour un débrayage de trois jours. Les travailleurs ont adhéré, hier encore, au mot d'ordre de grève en paralysant plusieurs secteurs d'activités à travers le territoire national. À la santé, l'enseignement supérieur, l'éducation ou encore l'administration, c'était un carton plein. Selon les premières estimations, le taux de suivi a atteint les 80%. Il est 13h. QG de la coordination nationale situé à Alger. Tout semble tranquille ; à peine franchi le couloir, nous étions surpris par l'ambiance électrique qui y régnait. Ça parle à haute voix, ça va et vient dans tous les sens. Difficile de connaître les premiers pronostics à cette heure-ci, mais on parle déjà d'un bon taux de suivi dans plusieurs wilayas. “C'est un raz-de-marée dans le secteur de la santé et de l'enseignement supérieur avec un taux de suivi de plus de 90% à travers le pays. Pour ce qui est de l'éducation et de l'administration, la mobilisation est de 75%. Ce ne sont que les premièrs pronostics, les chiffres sont appelés à évoluer”, annonce d'emblée Meziane Meriane, porte-parole de la Coordination nationale des syndicats autonomes de la Fonction publique. Lors du point de presse tenu hier à leur QG, à la place du 1er Mai, les responsables syndicaux régionaux ont évoqué un taux de participation de plus de 90%, voire même des pics de 100% dans certaines wilayas à l'image de Oran, Béchar, Adrar, El-Bayadh. M. Meriane déplore, par ailleurs, les tentatives d'intimidation dont est responsable l'administration des ministères de tutelle, notamment celui de la Santé qui a actionné la justice. “Afin de casser le mouvement, certains directeurs d'établissement ont prévu des examens durant ces journées de protestation, et malgré cela, le mouvement a été bien suivi par les enseignants”, a-t-il fait remarquer. Cependant, les représentants de la coordination estiment que cette mobilisation prouve que l'annonce de l'application de la grille des salaires faite par le Chef du gouvernement n'a pas apaisé les esprits tourmentés des fonctionnaires qui n'arrivent plus à subvenir à leurs besoins les plus élémentaires. Selon eux, les mouvements de grève sont une preuve du dynamisme de la société mais en Algérie, même s'ils sont synonymes d'un malaise social très profond, les réponses des pouvoirs publics n'ont pas évolué d'un iota. Contre ces mouvements, on oppose le mépris. Concernant les propos du Chef du gouvernement, le porte-parole estime que “l'usage du mot agitation nous fait penser d'emblée aux années soixante-dix, où la moindre velléité de contestation était clouée. Je tiens à signaler que cette ère est révolue”. Notre interlocuteur indique que si la coordination a mis cinq mois pour revendiquer ses droits, c'est qu'elle croyait profondément au dialogue. “Maintenant tout est clair, le gouvernement traite ses fonctionnaires avec un mépris total, et nous n'allons pas lâcher prise”, s'indigne-t-il. Le “coup de pouce” de Belkhadem Pour cette première journée de grève, le mouvement de protestation a été largement suivi dans les hôpitaux, le secteur sanitaire, les établissements scolaires, les universités, les facultés, l'administration… de la capitale. Ils étaient fort nombreux à se rendre sur leur lieu de travail et observer le piquet de grève ou encore des AG. Paradoxalement, le communiqué du Chef du gouvernement qualifiant leur mouvement de protestation “d'agitation infondée” et accusant les syndicats autonomes de “preneurs d'otages” a jeté de l'huile sur le feu. En effet, ses propos ont suscité la colère des fonctionnaires qui ont répondu aux propos du Chef du gouvernement par une mobilisation plus forte sur le terrain. Selon les grévistes, les déclarations de Belkhadem ont reflété simplement le mépris à l'égard des travailleurs de la Fonction publique. “C'était un sacré coup de pouce de la part du Chef du gouvernement, avec ses déclarations méprisantes, il n'a fait que renforcer les rangs des protestataires qui ont exprimé encore une fois leur ras-le-bol”, estime un enseignant universitaire. Signalons que même si leur section syndicale a été gelée, ils ont adhéré massivement au mouvement de protestation suite au communiqué du gouvernement. “Nous en avons ras-le-bol de la langue de bois. Nous ne croyons plus aux déclarations du gouvernement qui a versé dans l'illégalité et le mensonge. Nos revendications ne s'arrêtent pas à la grille des salaires, mais nous voulons contribuer à faire sortir l'université de sa morosité et la faire évoluer. Nous désirons dialoguer avec le gouvernement et plus de considération pour les fonctionnaires qui sont la colonne vertébrale du pays. Nous ne sommes pas des agitateurs”, répond M. Djemai, enseignant au département de langues de l'université des sciences humaines de Bouzaréah. Il est déjà 10h, les départements de l'université de Bouzaréah sont totalement paralysés. Aucun étudiant n'a eu cours. Les départements ainsi que les salles d'études ont été carrément cadenassées non pas par les enseignants mais par l'administration. “Afin de casser notre mouvement et d'empêcher la tenue des AG, l'administration n'a pas trouvé mieux que de cadenasser les salles d'études”, s'indigne-t-il. Que ce soit au CHU de Bab El-Oued, l'hôpital de Mustapha-Pacha, le secteur sanitaire de Kouba ou autres, la mobilisation était également forte. Aucune consultation ni exploration n'ont eu lieu. Tous les services ont été paralysés à part les urgences qui ont assuré le service minimum. Il est 10h40, l'hôpital de Béni-Messous, les avis de grève sont affichés dans tous les services. Les protestataires ont observé le piquet de grève devant l'administration de l'enceinte hospitalière, ils réclament tous les mêmes revendications : un statut qui respecte leurs longues années d'études et leurs expériences. “Pour réparer cette injustice, les pouvoirs publics devront revoir leur stratégie. Nous ne faisons pas une grève pour du pain, mais nous revendiquons notre dignité, longtemps bafouée par un gouvernement sourd, et l'amélioration des conditions de travail”, affirme un praticien. Il déplore la mise à l'écart des syndicalistes autonomes lors de la confection du statut de la Fonction publique. “À quoi sert un syndicat qui ne négocie pas le devenir de la carrière professionnelle de ses adhérents ?” s'interroge-t-il. On retrouve le même discours chez les professeurs et doscents des sciences médicales. Ils tirent à boulets rouges contre le Chef du gouvernement et le représentant de l'UGTA. “Nous ne sommes pas en colère, mais nous en avons ras-le-bol. Le gouvernement persiste à leurrer l'opinion publique. Jusqu'à quand nous continuerons à vivre dans cette duperie. Il faut bien qu'ils se mettent à l'ère de la mondialisation et s'adapter aux exigences de l'année 2008”, s'interroge de son côté le Pr Zidoun, responsable de syndicat autonome des professeurs et docents des sciences médicales. Il fait remarquer, par ailleurs, que la date historique du 24 Février appartient à tout le peuple algérien et elle est plus que jamais synonyme de lutte syndicale. Par ailleurs, les enseignants des trois paliers ont adhéré au mot d'ordre. Même les écoles primaires et du moyen ont rejoint le mouvement. Cependant, certains syndicats notamment le Cnes ainsi que le Snapest menacent de durcir le ton voire même bloquer les examens de fin d'année si le gouvernement persistait dans sa démarche. Nabila Afroun