Dans l'esprit de beaucoup d'Anglais, la barbe et le tchador sont les symboles d'un péril vert dévastateur. La sortie médiatique de l'évêque de Canterburry, un des plus hauts responsables de l'Eglise anglicane, récemment sur l'indispensable application de certaines lois de la charia au Royaume-Uni, a provoqué une avalanche de critiques. La droite et la gauche se sont exprimées d'une seule voix pour condamner les propos du religieux et rappeler qu'en Angleterre, les lois reflétant les valeurs britanniques uniquement sont de vigueur. La controverse a donné l'occasion à des journaux de mettre sous le feu des projecteurs les travers de la communauté musulmane. The Sun (ancré très à droite), par exemple, a dressé le profil d'un enseignant sans emploi, père de onze enfants et vivant des subsides de l'aide publique. De son côté, The Indépendant a publié une enquête sur les mariages forcés. Alors que le Sunday Times est revenu sur la fréquence des mariages consanguins chez les musulmans du Royaume-Uni et sur les maladies qu'ils entraînent chez la descendance. Auparavant, la diffusion sur le blog électoral de Boris Johnson, candidat du Parti conservateur à la mairie de Londres, d'une photo montrant des femmes en tchador déambulant dans l'une des artères commerciales de la capitale et le commentaire l'accompagnant : “Acceptez-vous que votre ville soit réduite à ça ?” ont fait les choux gras de la presse britannique. Cette affaire a suscité des condamnations très mitigées, et pour cause, dans l'esprit de beaucoup d'Anglais, la barbe et le tchador sont les symboles d'un péril vert dévastateur. Les politiques, d'ailleurs, ne manquent jamais une occasion pour agiter l'épouvantail du terrorisme islamiste. En précampagne pour les élections législatives, prévues pour 2009, David Cameron, chef de file des conservateurs, est à l'origine de la pétition des députés contre l'octroi d'un visa d'entrée au Royaume-Uni au prédicateur d'El-Azhar, Youssef Qaradaoui. Dans la foulée, M. Cameron a accusé le gouvernement travailliste de Gordon Brown d'autoriser les activités de Hizb Tahrir, un parti islamique extrémiste qu'il qualifie de très dangereux. Ses récriminations, très largement relayées par les médias, ont toutes les chances d'avoir un écho favorable auprès de l'opinion. Elles sont intervenues au moment où Scotland Yard a déjoué le complot d'un groupe terroriste dirigé par un Anglais d'origine pakistanaise et visant le kidnapping et le meurtre d'un soldat britannique. Le quotidien du soir, The Evening Standard, a livré l'information sous une manchette très équivoque, accusant “des musulmans” d'être les instigateurs de la tentative d'attentat. Entre musulmans et islamistes, il n'y a qu'un pas, que beaucoup de Britanniques, dont une partie de la presse, ont franchi. Le sondage réalisé par The Evening Standard, il y a deux mois, sur l'image de la communauté musulmane de Grande-Bretagne, est illustratif de ce mélange des genres. Le port du voile, par exemple, est vécu comme une véritable agression. 21% des sondés uniquement considèrent que le hidjab est un habit acceptable en Grande-Bretagne. Cette manifestation d'hostilité faisait suite à deux affaires ayant défrayé la chronique. L'une implique une enseignante ayant refusé d'ôter son voile à l'école. La seconde concerne la plainte pour discrimination, déposée par une apprentie-coiffeuse, que les salons de beauté refusent d'embaucher, car portant le foulard. Les réponses aux autres questions du sondage dévoilent des préjugés très négatifs. Dans leur majorité, les personnes interrogées ont estimé que la communauté musulmane est isolée du reste de la société et ne contribue pas assez et de manière positive au développement social et économique. Pis, la plupart juge l'islam en quelque sorte responsable des attentats du 7 juillet 2005. Le profil des sondés, des intellectuels et des chefs d'entreprise, est un miroir de ce que pense l'élite. Dans les médias, des journalistes n'ont pas de honte à exprimer leur hostilité à l'égard du culte musulman, comme Rod Liddle, chroniqueur au Sunday Times, qui qualifie l'islam de religion médiévale. Les ONG sont particulièrement virulentes. Joan Smith, ex-conseillère au Foreign Office et militante des droits de l'homme, dénonce une religion qui dicte aux femmes leur manière de se vêtir. La télévision contribue largement à transmettre une image biaisée des musulmans, par la dérision ou de manière grave. “Make me a Muslim” (fais-moi musulman) est le titre d'une émission de téléréalité équivoque. S. L.-K.