Pour le ministre néerlandais des Affaires étrangères, M. Maxime Verhagen, la conception véhiculée par le film de M. Wilders ne reflète en rien le point de vue et la politique du gouvernement néerlandais. Un député d'un parti d'opposition représentant une minorité d'électeurs néerlandais a réalisé un court métrage critique sur le Coran, livre saint de quelque 1,2 milliard de musulmans. L'annonce de ce film a, des mois durant, provoqué une vague d'émoi et de nombreuses discussions aux Pays-Bas et ailleurs dans le monde. Le film a été rendu public sur Internet le 27 mars dernier ; il montre des images d'actes de barbarie dont il attribue la responsabilité à l'islam et au Coran. Je tiens à préciser d'emblée que cette conception ne reflète en rien le point de vue ni la politique du gouvernement néerlandais. Le gouvernement néerlandais condamne les actes terroristes, qu'ils soient commis au nom de l'Islam, d'autres religions ou de tout autre motif. La terreur ne peut en aucun cas être le moyen d'atteindre un but quelconque. Mais personne n'est autorisé à faire l'amalgame entre Islam et actes de barbarie. L'immense majorité des musulmans réprouve l'extrémisme et la violence, dont les victimes sont, du reste, souvent elles-mêmes de confession islamique. Le gouvernement néerlandais désapprouve formellement ce film en raison de son propos réducteur et abusivement généralisateur. L'Islam fait indiscutablement partie de la société néerlandaise. Plus de 800 000 Néerlandais ont leurs racines dans le monde musulman, soit 5,3% de la population. Durant les dernières décennies, la religion musulmane a eu la possibilité de s'épanouir, dans toute sa diversité, dans les limites de la loi néerlandaise. Les organisations, les associations, les médias et les écoles islamiques font aujourd'hui partie du paysage social de notre pays. Plus de 450 mosquées ont été fondées sur le territoire néerlandais. Cette évolution repose sur une tradition bien établie de tolérance religieuse. Les musulmans apportent une contribution majeure au dialogue citoyen, en particulier par leur participation aux organes consultatifs. Deux membres du gouvernement sont originaires de pays musulmans : Ahmed Aboutaleb, secrétaire d'Etat aux Affaires sociales et à l'Emploi, et Madame Nebahat Albayrak, secrétaire d'Etat à la Justice. Je mentionne ces faits pour montrer qu'en général les musulmans travaillent et vivent aux Pays-Bas en harmonie avec les non-musulmans. Le gouvernement se sent conforté par la pondération des premières réactions des organisations musulmanes aux Pays-Bas après la sortie du film. Rien ne sert de nier que le contact avec d'autres cultures, coutumes et confessions est source de tensions. Il faut, au contraire, en parler ouvertement. La véritable question est : comment s'accommoder de ces tensions, comment les surmonter ? L'alliance des civilisations, créée à l'initiative des autorités turques et espagnoles, fournit aux gouvernements et à la société civile une plate-forme utile pour répondre de façon constructive à ces questions. Je me réjouis de l'existence de cette alliance qui, depuis sa création, compte les Pays-Bas parmi ses promoteurs. Le film de M. Wilders fait le contraire : au lieu de proposer une réponse constructive à des problèmes actuels, il sème la peur et attise les antagonismes. Ce n'est pas la religion qu'il nous faut condamner, mais ceux qui la dévoient pour parvenir à leurs fins par la violence. Le problème, ce n'est pas l'Islam : les musulmans, les chrétiens et les tenants d'autres religions ou convictions peuvent coexister en parfaite harmonie. Ce n'est pas la religion qui pose problème, mais son utilisation abusive pour semer la haine et l'intolérance. Il est vain de concevoir le monde en termes de “choc des civilisations”. Intéressons-nous plutôt à ce que nous partageons et à la manière dont nous arrivons à dépasser ce qui nous différencie pour vivre pacifiquement ensemble, portés par des convictions universelles. La route à suivre, c'est le dialogue, pas la provocation. Ne craignons pas de nous montrer critique les uns envers les autres, tant que cette critique et sa réponse restent respectueuses. Faire l'objet de critiques, même blessantes, ne donnera cependant jamais le droit de recourir aux menaces et à la violence. La liberté religieuse est un droit universel, un droit garanti par la Constitution néerlandaise. Ce droit ne peut être vidé de sa substance. Il implique la liberté de pratiquer sa propre religion, mais aussi l'obligation de respecter les convictions religieuses ou idéologiques d'autrui. Il va sans dire que la liberté religieuse vaut également pour les musulmans aux Pays-Bas. La Constitution néerlandaise garantit aussi la liberté d'expression. Chacun est ainsi libre d'exprimer publiquement son opinion, sans autorisation préalable des autorités. Il n'y a pas de censure aux Pays-Bas. Chaque individu peut donc exprimer sa réprobation d'une doctrine religieuse. Seul le juge est habilité à déterminer, a posteriori, si la loi a ainsi été enfreinte. Je me garderai cependant d'interpréter la liberté d'expression comme un blanc-seing à l'offense sans limite de ses concitoyens. Il est de la responsabilité de chacun de respecter les droits et la réputation d'autrui. Le gouvernement néerlandais a plusieurs fois invité le député de l'opposition en question à considérer les possibles conséquences de son film, faisant ainsi appel à son sens des responsabilités. Le gouvernement regrette qu'il ait néanmoins décidé de publier ce film qui n'a d'autre but qu'offenser la sensibilité de certains. Personne n'a intérêt à accentuer la polarisation. L'essentiel est de garantir l'espace suffisant pour engager le dialogue, dans le respect mutuel et conformément aux principes de l'Etat de droit. Le gouvernement néerlandais veut poursuivre, aux niveaux national et international, le dialogue ouvert et raisonnable ainsi que la coopération entre les différents groupes sociaux. Je suis convaincu que ce film ne nous détournera pas de notre responsabilité commune : gardons la tête froide et préservons la chaleur de nos relations. M. V. (*) Ministre néerlandais des Affaires étrangères