Les commerçants de Collo, activant dans l'alimentation générale et l'artisanat, s'approvisionnent au marché hebdomadaire tenu par des ambulants. Il n'est pas rare que le visiteur de la ville de Collo constate que la majorité des rideaux des commerces sont baissés. C'est que son déplacement coïncide avec la présence sur les lieux de “bouzenzen”. Un qualificatif, genre mot de passe, donné par les Colliotes aux brigades mixtes de contrôle de l'activité commerciale. “Je n'ai aucune facture à leur présenter à part celles du téléphone, de l'eau et de l'électricité”, explique un jeune épicier avant de continuer : “Je sais que je suis dans l'illégalité, j'ai honte de moi alors je fuis les lieux.” Les commerçants de la région de Collo se plaignent des contraintes liées au respect du code de commerce. L'environnement économique précaire, pour ne pas dire menaçant, dans cette région sous-développée rend caduque l'application des règles usuelles régulant le commerce de détails. Un ancien cadre dans le secteur public économique, reconvertit dans la pâtisserie, trouve les conditions d'exercice de l'activité de commerce à Collo humiliantes. Dans toute la région de Collo aucune enseigne de grossistes des produits d'alimentation générale ou d'entretien n'existe sauf si ceux qui existent juridiquement n'exercent pas régulièrement leurs activités. Du coup, la majorité des petits commerces s'approvisionnent au marché hebdomadaire appelé ici Lakhmis. Comme tous les négociants de ce genre d'espaces, les “grossistes” du souk hebdomadaire, ambulants de leur état, ne délivrent pas de factures. Alors, c'est le début d'un cycle économique sans aucune traçabilité, ce qui est à la fois illégale et néfaste pour l'économie et la santé publique. “J'ai essayé de m'approvisionner à Skikda et à Constantine mais, ici, l'activité est minime et les quantités vendues périodiquement ne permettent pas d'amortir les frais de transport surtout. Chaque jeudi, je prends deux couffins que je remplis au marché hebdomadaire, ce sont l'équivalent de mes ventes, pas plus”, se plaint Abdelhamid, un commerçant artisan de la localité de Zitouna. Les commerçants de Collo ne demandent pas aux pouvoirs publics de ne pas appliquer le code de commerce, mais ils les prient de trouver des mécanismes de régulation qui prennent en considération l'environnement socio-économique locale. “À quoi sert d'exiger des commerçants des factures impossibles à trouver, développant ainsi les réflexes de la fuite fiscale et cultivant chez le citoyen l'idée d'un Etat déconnecté de la réalité ?”, s'interroge un cadre retraité de la ville. Pour notre interlocuteur, “la facture n'est pas un objectif en lui-même mais un moyen à même de permettre aux services concernés de quantifier le volume des activités et d'avoir une certaine traçabilité des transactions. Ainsi, un registre coté et paraphé de gestion des stocks, confronté périodiquement par les agents habilités à la réalité des stocks, peut se substituer au dit document mettant fin à cette situation à la fois comique et humiliante.” Pour un ex-élu local ayant essayé déjà de traiter le dossier, “il ne faut surtout pas penser que les gens baissent leurs rideaux avec gaieté le jour des contrôles. Ils sont conscients qu'ils donnent un mauvais exemple à leur progéniture en se comportant en voleur alors que la faute n'est ni celle des contrôleurs, ni celle des commerçants, mais d'une économie locale au ralentie pour diverses raisons”. Pour un jeune étudiant, qui tient les week-end le commerce de son père à la cité Tahra, “ce sont ces situations anormales qui créent les tentatives de dérapage de tous genres, comme celle de chercher à soudoyer les uns et à agresser les autres. Même les contrôleurs sont victimes de l'application inadaptée d'une loi ; on a l'impression quelle est faite pour nous opprimer et non pour protéger l'économie nationale dont le bénéficiaire reste le citoyen”. Ils demandent enfin la révision de l'application du code de commerce dans ces contrées pauvres et sous-développées économiquement, pour tenter de réconcilier le citoyen avec son administration. Mourad Kezzar