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Des nationalisations à l'ouverture aux investisseurs privés et étrangers La question de la longévité des ressources pétrolières reste posée (2e partie)
La nationalisation des hydrocarbures s'est déroulée en deux phases : le 24 février 1971, avec la prise de contrôle majoritaire (51%) dans toutes les sociétés de production et la nationalisation complète de toutes les réserves de gaz naturel et du transport des hydrocarbures par canalisations ; ensuite, le 12 avril 1971, avec l'abolition du régime des concessions et l'instauration du régime d'association contrôlée à 51% par Sonatrach pour toute compagnie désirant exercer des activités de recherche-exploration et/ou de production des hydrocarbures en Algérie. Deux autres principes devaient guider l'action du nouveau pays pétrolier, membre de l'Opep : l'adoption de l'énergie comme élément moteur du développement économique et de la promotion sociale par la généralisation de l'accès à l'énergie domestique à bas prix ; la formation et l'appropriation de la technologie comme élément de base pour la maîtrise réelle d'un secteur réputé à haute technologie. C'est ainsi que des milliers de cadres et techniciens, d'experts dans tous les domaines de l'énergie ont été formés, que des dizaines d'écoles et d'instituts de formation ont été créés et ouverts notamment dans des pays en développement. La prise de conscience précoce de l'importance de la formation et la mise en œuvre d'actions multiformes (l'Institut national des hydrocarbures, par exemple, a été créé à peine une année après l'Indépendance) ont constitué incontestablement une grande réussite : aujourd'hui, l'Algérie dispose d'une quantité impressionnante de cadres qualifiés et d'experts de qualité qui évoluent tant dans le pays qu'à l'étranger, au sein de la communauté énergétique internationale où ils ont une autorité reconnue. Se basant sur le concept de l'industrialisation à partir de la valorisation des ressources naturelles, en vogue à l'époque dans les milieux économiques et tiers-mondistes particulièrement, le pays s'est engagé dans un combat acharné pour le développement tous azimuts, avec plus ou moins de succès, dans un cadre rigoureusement planifié. Il a alors connu une croissance annuelle moyenne soutenue de 7% pendant une longue période, d'une quinzaine d'années, avec la création moyenne de 200 000 emplois/an, fondamentale dans un pays où la majorité de la population est constituée de jeunes de moins de 35 ans (75%). Dans les faits, le pays s'est transformé en un immense chantier et des investissements colossaux (40% du PIB, au prix d'un endettement très fort) ont été consentis pour mettre en valeur, développer les ressources énergétiques et réaliser les infrastructures nécessaires dans tous les domaines : implantation d'une base industrielle dans tous les secteurs, installations destinées à l'exploitation, la transformation et/ou l'exportation de produits énergétiques, édification de raffineries et d'usines de liquéfaction de gaz naturel, d'usines pétrochimiques, réalisation de réseaux de distribution pour les produits pétroliers et généralisation de l'utilisation du gaz naturel, combustible propre et noble, dans la production électrique et dans tous les secteurs de l'industrie et de l'artisanat, construction de deux grands gazoducs à travers le Maghreb et la Méditerranée destinés à l'exportation vers l'Europe du gaz naturel algérien : le Transmed (Enrico Mattei) depuis octobre 1983, vers l'Italie, la Tunisie et la Slovénie ; le gazoduc Maghreb-Europe (GME ou Pedro Duran Farell) qui livre du gaz depuis novembre 1996 au Maroc, à l'Espagne et au Portugal. Ces gazoducs constituent, incontestablement, une belle œuvre de coopération commune entre l'Algérie, le Maghreb et l'Europe. Sur un plan régional, le Transmed a certainement contribué au développement économique de la Tunisie au cours des dernières décennies. La Tunisie est devenue un consommateur important de gaz naturel (plus de 3 milliards de mètres cubes par an), avec des effets positifs sur l'économie et l'environnement. Malheureusement, cette expérience n'a pas encore pu être étendue au Maroc à partir du GME, en raison du climat de méfiance entretenu entre deux grands pays voisins qu'unissent tant de liens historiques et dont les économies sont absolument complémentaires. Pourtant, le choix d'un tracé du gazoduc pour alimenter l'Espagne, privilégiant le passage par le Maroc et la traversée du détroit de Gibraltar à la liaison directe Algérie-Espagne à travers la Méditerranée, avait été effectué au début de la décennie 1990 pour des raisons politiques et pour renforcer la coopération maghrébine dans le cadre de l'Union du Maghreb arabe (UMA). En effet, l'énergie pourrait et devrait jouer un rôle moteur dans la coopération maghrébine dans la mesure où l'industrie du gaz contribue à la croissance de la valeur ajoutée dans les pays de transit, en même temps qu'elle produit un effet d'entraînement sur l'économie dans son ensemble. Au titre du développement durable Il faut également signaler que bien avant le Sommet de Johannesburg, tenu en septembre 2002, qui a consacré l'énergie comme besoin essentiel pour tout être humain au même titre que la santé, l'eau, et qui a appelé à la lutte contre la pauvreté énergétique, l'Algérie avait officialisé dans la Charte nationale, document institutionnel adopté dès 1976, une politique audacieuse de généralisation de l'accès à l'énergie pour l'électricité et la distribution du gaz naturel, à laquelle s'est ajoutée une politique de bas prix qui était, sans aucun doute, opportune pour les petits consommateurs. Par contre, la généralisation de la politique de bas prix généralisée aux produits énergétiques n'a pas favorisé un choix judicieux des investissements dans le secteur de l'industrie, ni une utilisation rationnelle de l'énergie dans les unités industrielles notamment, encore moins la promotion des énergies renouvelables. Elle a même constitué une source de gaspillage contre laquelle il a fallu réagir par l'augmentation drastique des prix, imposée depuis le début de la décennie 1990, et par une législation nouvelle plus incitative vers la rationalisation de l'utilisation de l'énergie. Toutefois, il semble que la culture de l'économie d'énergie et de l'efficacité énergétique reste à promouvoir dans un pays où l'intensité énergétique est l'une des plus fortes du bassin méditerranéen et où la part des énergies renouvelables dans le bilan énergétique est quasiment nulle, malgré les potentialités considérables, notamment en matière d'énergie solaire. En dépit des erreurs et des insuffisances, les moyens financiers procurés par les hydrocarbures ont permis des réalisations importantes dans tous les domaines et il est incontestable que de tels résultats n'auraient jamais été obtenus sans la nationalisation des hydrocarbures ! Au demeurant, la nationalisation est intervenue à un moment opportun et dans un contexte politique et économique international propice : l'équilibre mondial était favorable aux pays du tiers-monde qui possédaient la plus grande part des matières premières disponibles dans le monde. Au sein de l'Opep, l'Algérie a certainement joué un rôle disproportionné par rapport à l'importance de ses ressources dans les années 1970 en raison de ses idées novatrices sur le développement et de son rayonnement international à l'époque. Il suffit de rappeler, à cet égard, la session extraordinaire de l'Assemblée générale des Nations unies sur “Le pétrole, les matières premières et le développement” tenue le 10 avril 1974, à l'initiative de l'Algérie, ou bien la Conférence des souverains et chefs d'Etat des pays membres de l'Opep, tenue à Alger du 4 au 6 mars 1975. Il faut rappeler également qu'en sa qualité d'initiateur de ces rencontres historiques, l'Algérie avait proposé, pour alléger la facture énergétique des pays du tiers-monde, l'idée d'un véritable plan Marshall mondial en faveur du développement et suggéré notamment la création d'un fonds d'aide au développement (de 20 milliards de dollars), cofinancé à parts égales par les pays exportateurs de pétrole et les pays industrialisés. L'offre étant restée sans réponse, c'est finalement l'Opep qui s'est résolu à créer toute seule ce fonds d'aide, qui continue à fonctionner aujourd'hui. Le temps des réformes : l'ouverture aux investissements privés et étrangers Le revers de la médaille de cette politique, fondée sur une valorisation intensive des hydrocarbures, est la forte dépendance du pays par rapport aux hydrocarbures et, par voie de conséquence, sa vulnérabilité qui s'est manifestée de manière brutale au moment de la chute des prix du pétrole en 1986, avec des conséquences politiques, économiques et sociales dramatiques. Pour faire face aux besoins financiers nécessaires à la poursuite du développement, la législation dans le secteur des hydrocarbures a été modifiée par la loi du 19 août 1986 et, plus profondément encore, par les amendements de la loi du 4 décembre 1991 lesquels introduisent, pour la première fois dans les pays producteurs et, en particulier dans les pays arabes, l'ouverture de l'amont pétrolier aux investissements privés et étrangers. Ces réformes, réalisées délibérément et sans aucune contrainte, bien avant l'ajustement structurel et le rééchelonnement de la dette intervenus en 1994, visaient plus particulièrement à inciter les compagnies pétrolières étrangères à investir dans la recherche et l'exploration, avec pour effets attendus l'accroissement des réserves et l'augmentation de la production dans le cadre d'un partage de production (51% pour la compagnie nationale Sonatrach). Effectivement, il est incontestable que ces réformes ont eu un effet positif, rapide et retentissant : extension du domaine exploré, nouvelles découvertes pétrolières et gazières, augmentation de la production et des exportations. Dès le milieu des années 1990, l'Algérie avait pratiquement reconstitué les réserves de l'année 1971 et des dizaines de compagnies de toutes nationalités opéraient dans le sud algérien (les années 1996, 1997 et 1998 ont été particulièrement prolifiques !). Dans la première moitié de la décennie 1990, trente ans après sa création, Sonatrach est devenue la 11e compagnie pétrolière au niveau mondial. Enfin, dans le prolongement des réformes libérales accélérées dans le pays depuis le début de la présente décennie, l'Algérie s'est dotée d'une nouvelle loi sur les hydrocarbures, le 19 juillet 2005, qui introduit une libéralisation plus profonde dans l'organisation et le fonctionnement de l'ensemble du secteur. Les principaux objectifs affichés sont : séparer le rôle de l'Etat en tant que propriétaire du domaine minier (mission confiée à une nouvelle entité publique Alnaft) de celui de l'opérateur historique Sonatrach, transformé en société par actions soumise aux règles de la commercialité au même titre que les autres compagnies, assouplir les obstacles inhérents à l'application de la loi de 1991, rendre plus attractif le régime des investissements pour attirer les compagnies étrangères. La mise en œuvre de la loi de 1986 et surtout celle de 1991 appelait certainement des mesures d'amélioration et d'assouplissement dans le fonctionnement et dans les relations entre l'Etat et les compagnies pétrolières internationales. Une adaptation éventuelle de ces lois aurait dû s'appuyer sur un diagnostic approfondi, objectif et transparent au terme d'une décennie d'application. Fallait-il aller jusqu'à la remise en cause des bases de ces lois, comme le principe du partage de production, alors qu'elles avaient donné des résultats positifs ? Dans un article publié par la revue Liaison Energie Francophonie n°70 – 1er trimestre 2006 (4), nous écrivions : “L'avenir dira si la loi de 2005, communément appelée loi de dénationalisation parce qu'elle réintroduit le régime des concessions en vigueur avant la nationalisation de 1971, apporte les réponses appropriées pour faire du secteur des hydrocarbures l'élément moteur du développement national, économique et social de l'Algérie”. En réalité, la loi du 28 avril 2005 n'a jamais été mise en application. Elle a été modifiée et complétée un peu plus d'un an après — sans explication ni débat, en dehors de l'adoption formelle au Parlement. Un nouveau texte à caractère législatif, plus précisément une ordonnance, entérinée par l'Assemblée populaire nationale (APN) en octobre 2006, revient au principe de la participation de Sonatrach à hauteur de 51%, instauré par la loi de 1991 et redevenu en vigueur aujourd'hui. Quels sont les motifs de ce revirement inattendu ? Est-ce le retour au patriotisme économique ? Ou bien l'effet de l'augmentation des prix du pétrole, pourtant engagée dès 2004 et en rythme accéléré fin 2004 - début 2005, comme le montre la figure 2 ? Par : Abdenour KERAMANE Notes (3) Sonatrach : rapport annuel 2006 (4) Keramane A. “Pétrole et développement des pays producteurs, le cas de l'Algérie” in LEF n° 70 - 1er trimestre 2006