Les communautés ibadites et malékites continuent à s'accuser mutuellement. Mais au-delà des faits avérés et d'autres “suggérés” par les uns et les autres pour pourrir la situation, les appels à la sagesse se multiplient et les autorités locales se déploient quotidiennement sur le terrain pour maintenir le calme. 19 mars 2008 - 20 mai 2008. Trois mois après le déclenchement des émeutes dans la localité de Berriane, à 45 km de Ghardaïa, les appels à la sagesse et le retour au calme continuent de fuser de partout. La tension est toujours perceptible tant que la solution finale ne pointe pas à l'horizon dans cette région chère à la vallée du M'zab, réputée pour être le berceau de la cohabitation. Harizi Nacer, imam et enseignant du Saint Coran, et le docteur Daoud Bourguiba, imam de son état également, deux personnalités influentes dans la communauté ibadite, sont longuement revenus sur ces douloureux évènements qui ont émaillé Berriane et qui risquent de se poursuivre si “les pouvoirs publics ne prennent pas des dispositions sécuritaires plus efficaces pour arrêter cette fitna et sécuriser les populations”. Nos interlocuteurs, qui n'ont jamais cessé d'appeler à la sagesse, estiment que “seule l'autorité de l'Etat, de la loi et de la justice l'emportera tant des groupuscules s'acharnent de plus en plus sur les maisons, sur les familles et sur les biens”. MM. Harizi et Bourguiba, tous deux membres de la cellule de crise, avouent que les contacts n'ont jamais cessé entre les sages des deux communautés, sans toutefois voir le résultat sur le terrain. “C'est drôle, mais c'est à partir de Bab Essad, où les deux communautés ont cohabité pendant 14 siècles, que le coup est parti à cause d'un pétard le 19 mars dernier. Les évènements ont alors pris une autre allure, et voilà où nous en sommes arrivés”, renchérissent les deux imams. Deux versions et deux appels à l'apaisement Ces derniers nous révèlent que 266 familles, de la communauté ibadite, se sont actuellement abritées dans une école après avoir été chassées dans des conditions inhumaines, et ce, sous la menace d'incendier leurs maisons ou par peur de faire l'objet d'un acte de vandalisme. Ils démentent également le saccage de la mosquée Al-Atik qui, selon des informations distillées dans les colonnes de la presse, a été incendiée alors que des copies du Saint Coran ont été piétinés. “Nous sommes une nation du Coran”, disent-ils. “Ce qui se passe à Berriane interpelle toutes les consciences. De l'Etat jusqu'au croyant qui voudrait rétablir la paix au bénéfice de nos familles et de nos enfants. Les échauffourées récidivent à chaque provocation. Nos jeunes se sont vraiment retenus au point où le wali de Ghardaïa a salué leur esprit de civisme. C'est ce que nous attendons de l'autre côté”. Les deux imams, qui affichent un optimisme mesuré, placent toute leur confiance dans les services de sécurité qui, à leurs yeux, doivent prendre plus de mesures pour détendre le climat. “Chaque personne qui se fait tuer est un mort de trop. Chaque blessé également. Trop, c'est trop !” estiment encore ces deux imams qui prônent le dialogue et le retour à la vie normale avec tout ce que cela suppose comme conditions pour permettre aux familles de rejoindre dignement leurs domiciles respectifs. Nos interlocuteurs rappellent, à ce propos, que d'autres préalables restent posés, et ce, dans le cadre des promesses du Chef du gouvernement, Abdelaziz Belkhadem. En effet, ces imams avouent avoir saisi officiellement les autorités concernées pour désarmer les gens, installer un poste de police de proximité à Berriane, lutter contre le phénomène de la drogue qui gangrène la localité, déployer un plan spécial de lutte contre le chômage, etc. Regrettant qu'aucun ministre de la République ne soit venu pas trois jours après pour s'enquérir de la situation, ces imams interpellent le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, pour intervenir en urgence afin de mettre un terme à ce conflit qui n'a pas lieu d'être. Dénonçant la connotation ethnique “arabo-mozabite” de cette crise, les deux hommes prient pour que Berriane redevienne cette perle de la vallée du M'zab, symbole de la cohabitation des convictions et carrefour des idées. Propriétaire d'un kiosque multiservice au centre-ville de Berriane, un jeune malékite, qui témoigne sous le couvert de l'anonymat, estime que “les malékites et les ibadites ont toujours cohabité dans la paix et la sérénité”. Contredit par ses amis présents, qui semblent pointer du doigt les ibadites, notre interlocuteur avoue que ce qui s'est passé à Berriane est regrettable. Pour lui, les forces de sécurité doivent également se déployer davantage pour sécuriser les maisons et les locaux commerciaux. Dans la placette limitrophe, où les forces antiémeutes sont sur le qui-vive, une vingtaine de jeunes malékites nous entourent pour apporter leur témoignage, mais aussi la contradiction. “La mosquée Al-Atik a sérieusement été touchée. Mais ce qui fait mal au cœur, c'est le saccage de la stèle des chouhada”, insistent-ils. Cette dernière information sera vite démentie par d'autres témoins. Ces derniers, en revanche, révèlent que pas moins de 150 maisons ont été désertées, dont une dizaine incendiée. Et dans ce climat de tension et d'intox, il serait difficile d'avoir un bilan exhaustif de part et d'autre. Par conséquent, ces jeunes soucieux aussi du devenir de leur cité en appellent à leur tour le chef de l'Etat. “Ecrivez-le s'il vous plaît ! Le président Bouteflika doit intervenir en urgence. Nous sommes isolés du centre des soins et nos enfants ne partent pas à l'école depuis le 19 mars dernier. C'est très grave ce qui se passe à Berriane. Les risques de dérapage peuvent survenir à tout moment et personne ne profite de cette situation confuse et dangereuse”, nous confient encore ces jeunes en émoi. Berriane refuse le mur de séparation Il est 12h tapantes. Berriane braque son regard sur l'enterrement de cet ancien retraité, tué samedi dernier, Aïssa Dahou, 72 ans, originaire de Madagh. Le dispositif sécuritaire déployé pour la circonstance est impressionnant. Près de 1 000 policiers et plus de 1 500 gendarmes bouclent la ville et les foyers de tension. De part et d'autre, on prie pour que l'enterrement se déroule dans le calme. Les imams comme les jeunes des deux communautés parlent un seul langage quand il s'agit d'un mort. Ils refusent la vendetta. La preuve, cette dernière n'est même pas évoquée dans leurs discours. Et si les imams refusent le mur de séparation de Berriane, les jeunes soutiennent que les deux communautés peuvent encore renouer le lien d'antan pour que la vie continue. À quatre heures de l'inhumation de cette troisième victime, une réunion de coordination s'est tenue entre le wali et les services de sécurité pour prendre toutes les dispositions appropriées pour maintenir le calme. Un calme revenu depuis 48 heures à Berriane. De notre envoyé spécial Farid Belgacem