Des unités de parachutistes, de commandos, dépêchées de Biskra et d'Alger sont déployées sur le site. Jeudi 15 mai 14 heures. Un hélicoptère de l'armée ronronne dans le ciel. Il survole un instant l'enclave brûlante d'Illizi puis laisse planer son ombre sur les reliefs aiguisés du Tassili et disparaît enfin au bout de l'horizon. Depuis janvier dernier, ce rituel se renouvelle presque quotidiennement. Dépêchée en urgence de Djanet, une compagnie de l'aviation a pris ses quartiers sur le tarmac de l'aéroport civil pour les besoins d'une mission spéciale dans les monts de Tamlirt. Des Touareg y auraient aperçu des hommes armés. “Les ratissages aériens dans cette région ont suscité beaucoup d'interrogations parmi la population. Personne ne savait ce qui se passait exactement. Petit à petit, la rumeur s'est amplifiée et s'est confirmée durant le mois de ramadhan par le vol à Tamlirt précisément de véhicules tout-terrain appartenant à des particuliers”. Quand Benghou Sidi, président de la Chambre locale d'agriculture, apprend cette information effroyable, une autre plus affolante surprend à mille lieues du Tassili, au-delà des mers, des familles de randonneurs, sans nouvelles de leurs proches, évanouis dans le vaste Sahara. “C'est en avril dernier que j'ai pris connaissance de la disparition de ces touristes. Alors que je me rendais un jour à Djanet, un ami gendarme m'a arrêté à un barrage érigé à l'une des entrées de Tamlirt pour me révéler que d'intenses recherches sont menées depuis début mars pour retrouver des touristes probablement perdus dans cette région”, confie le notable. Depuis, tout le monde sait qu'il ne s'agit point d'un égarement occasionné par quelques défaillances de téléphones satellitaires ou d'une tempête de sable qui auraient conduit les infortunés randonneurs sur des pistes inconnues et périlleuses. A Tamlirt, où leurs effets vestimentaires, leurs véhicules et des messages écrits de leurs mains, sont retrouvés par les limiers touaregs et les bidasses, les grottes profondes, les canyons vertigineux, les oueds tortueux et les pics rocailleux sont autant de prisons qui laissent çà et là s'échapper le souffle de leur survie. “Bivouaquant dans cet endroit avec son troupeau, un berger s'est brusquement réveillé une nuit en entendant vrombir des motos. Il a vu les lumières de leurs phares. C'était surprenant. Il avait l'impression de voir des gens s'entraîner à conduire les engins. Ce remue-ménage a duré jusqu'à l'aube. Puis, les conducteurs ont disparu au bord des deux roues”. Pour Benghou Sidi, il n'y a pas de doute, les apprentis-motards sont les ravisseurs. Ils auraient envisagé d'utiliser en cas de fuite les motos promptes à les transporter à travers le site accidenté. Tamlirt est, en effet, une gueule de loup. En se retranchant dans cet endroit avec les touristes, les preneurs d'otages ont couru tous les risques. Pour cause. Située à 150 km du chef-lieu de la wilaya d'Illizi, à la frontière entre In Salah au nord et Tamanrasset à l'ouest, Tamlirt surplombe le Tassili. De son nom berbère, Tamelghight (le sommet du crâne), cette enclave abrite des monts qui atteignent environ 700 mètres de hauteur. Encerclée par quatre oueds, Adjih, Tidjradjri, Taghagha et Tikrariti, elle constitue un abri privilégié mais c'est aussi une forteresse assiégée que l'armée compte bien investir. Alors qu'officiellement, le gouvernement s'est laissé aller à des approximations exaspérantes, car peu crédibles, sur le terrain, le dispositif de libération des touristes était en place. Depuis au moins vingt jours, Tamlirt est encerclée par des militaires. Dépêchées tout dernièrement de la capitale et de Biskra, des unités de commandos et de parachutistes doivent donner l'assaut d'un moment à l'autre. Selon des sources militaires, l'offensive serait programmée pour le début de la semaine prochaine. Cependant, contrairement à l'offensive qui a permis la délivrance sains et saufs du premier groupe de touristes à Amguid, dans les environs de Tamanrasset, mardi dernier, celle prévue à Tamlirt est autrement plus aléatoire. Profitant des diverses voies de secours, impossibles d'accès aux véhicules militaires, les ravisseurs pourraient, d'après des spécialistes de la question sécuritaire, prendre la fuite, soit avec les otages ou sans, en les tuant s'ils sont encombrants. Pour l'heure, les militaires seraient stationnés avec leurs engins à proximité de l'oued Tikariti, au sud de Tamlirt. Ils attendraient une éventuelle reddition des ravisseurs, en panne de provisions. Dans leurs premiers témoignages, les 17 touristes allemands, autrichiens et suédois, libérés, ont affirmé qu'aucun n'aurait survécu au-delà de trois jours car les preneurs d'otages n'avaient plus ni eau ni nourriture. Selon Khilguilati, directeur de l'Office local du Tassili, les réserves d'eau ne manquent pas à Tamlirt. “Il y a des gueltas qui regorgent d'eau tout le long de l'année”, soutient-il. Quant à la nourriture, les ravisseurs auraient, à plusieurs reprises, puisé du stock des Touareg dissimulés çà et là dans la région pour les besoins du voyage. Lors de leurs opérations de ratissage sur le site, les militaires auraient systématiquement détruit ces réserves pour leur couper les vivres. Ce qui a provoqué le courroux des tribus nomades. Un incident survenu il y a quelques semaines a davantage attisé leur colère contre les militaires. Repéré par un hélicoptère, un berger a été immédiatement arrêté et ses chameaux tués. Son seul tort : avoir porté une longue barbe, comme celle des terroristes. Car, selon l'état-major de l'armée et du ministère de l'Intérieur, il s'agit bel est bien d'un enlèvement perpétré par des terroristes. L'inévitable BeLMokhtar Vendredi dernier, succédant au communiqué du ministère de la Défense nationale qui a identifié les preneurs d'otages comme appartenant au Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), le département de Yazid Zerhouni a annoncé que le second groupe de randonneurs — allemands, suisses et hollandais — est également détenu par un groupe terroriste. Si la piste du kidnapping a semblé la plus probante depuis la signalisation des disparitions, deux responsables différents ont été néanmoins désignés. L'on a parlé des terroristes mais également des contrebandiers. L'un ou l'autre ? Apparemment, les deux ne font qu'un dans le Sud algérien. A Illizi, Mokhtar Belmokhtar alias Belaouer, un contrebandier notoire reconverti dans le terrorisme, est cité comme l'un des initiateurs de cette connexion. Est-il le cerveau de cette affaire de kidnapping ? Longtemps, ce chef terroriste, qui a fait acte d'allégeance à Hassen Hattab, n'avait pas fait parler de lui. On le croyait exilé au Burkina Faso ? Qu'est-ce qui a motivé son come-back ? A-t-il reçu ordre d'entreprendre une telle action ? L'a-t-on aidé ? Al-Qaïda d'Oussama Ben Laden, qui a tendu ses tentacules en Algérie, est-elle à l'origine de sa résurrection ? Autrefois puissant, Belmokhtar n'écumait pas seulement les monts du Tassili mais sévissait aussi dans la ville. En 1998, raconte Gouma El-Bakri, maire d'Illizi, Belmokhtar avait dressé avec ses hommes un faux barrage sur la route de l'aéroport. Il avait enlevé le mouhafadh et le commissaire avant de les relâcher quelques jours plus tard. En 2000, il avait menacé de s'attaquer au rallye Paris-Dakar. Œuvrant pour sa reddition, l'armée lui a même envoyé ses parents afin de le convaincre de déposer les armes. En vain. Il rangera néanmoins son frein… jusqu'à ce printemps 2003 qu'Illizi n'est pas près d'oublier. A-t-il signé son retour avec l'affaire des touristes ? Lors de l'assaut qu'elle a donné à Amguid, l'armée n'a pas précisé s'il y avait des pertes dans le camp ennemi. Elle n'a pas également mentionné si le fameux Belmokhtar comptait parmi les preneurs d'otages, ou si dans le cas contraire, il a été dénoncé par d'éventuels membres arrêtés du groupe. Jusqu'à maintenant, on ne sait pas aussi s'il s'agit d'un seul groupe de ravisseurs qui se serait finalement séparé et a partagé les otages. Reliées par un relief montagneux, Amguid et Tamlirt sont voisines. Il est donc probable qu'une faction des terroristes se soit déplacée de la première à la seconde ou vice versa, en quête de nourriture ou d'abri plus sûr. En tout cas, comme pour le groupe d'Amguid, le sort de celui encore retranché à Tamlirt semble scellé. Les militaires sont déterminés à mener à bien leur second assaut. L'armée en sortira grandie. Mais point de dividendes pour les civils, tout au moins pour les habitants d'Illizi qui voient ainsi l'image de leur ville entachée par toute cette scabreuse affaire. “J'ai été surpris la dernière fois en entendant le nom d'Ilizi sur une télévision arabe. Auparavant, personne ne savait qu'on existait. Il a fallu qu'il y ait ces disparitions pour que le monde nous découvre”, plaisante, avec une pointe d'amertume, Faraj, responsable de la direction des fêtes de la ville. Pourtant, le monde, ou du moins une partie, a commencé à redécouvrir Illizi et sa vaste réserve à travers les contingents de touristes étrangers qui l'ont visitée cette année. Inédite et faste, la saison 2002-2003 suscite déjà la nostalgie. A la signalisation des premières disparitions, beaucoup de tours-opérateurs se sont empressés d'annuler leurs réservations. Que sera la prochaine saison ? Jeudi soir, le comité des fêtes a organisé un grand gala à l'occasion de la clôture de la foire commerciale. Emporté par la mélodie targuie, un seul étranger faisait partie de l'assistance. Ce n'est pas un touriste mais l'un des policiers autrichiens dépêchés à Illizi dans le cadre de l'affaire des disparus. La fête a battu son plein une bonne partie de la nuit. Au loin, dans les monts de Tamlirt, des festivités d'un autre genre se préparent. S. L.